lundi, août 24, 2015

Les bourgeois, la violence et le diner en ville

Philippe Bilger n’aime pas Nicolas Sarkozy parce qu’il le trouve conflictuel.

Après les attentats du 11 janvier, un bon bourgeois, gentil, propre sur lui, « bien comme il faut » est presque un euphémisme le concernant tellement il est conformiste, m’avait expliqué que ces tristes événements n’étaient pas significatifs parce que les terroristes étaient « isolés » (ce n’est pas vrai, mais c’est l’argument qui m’intéresse, pas la réalité). Aujourd’hui, j’entends que le terroriste marocain du Thalys était si maladroit que ce n’était pas un « vrai » terroriste.

Cela m’a rappelé un texte de George Orwell (un lecteur érudit m’en indiquera peut-être la source).

Il y exposait la thèse suivante. Contrairement au bourgeois, le prolétaire est, dès sa tendre enfance, familier de la violence, la vraie, physique, pas seulement la symbolique, même s’il sait qu’elle peut aussi être sociale ou psychologique. Il en reconnaît la nécessité, ni plus ni moins.

Le bourgeois, lui, n’a pas cette familiarité avec la violence. Il peut en être fasciné, comme beaucoup d’intellectuels, à la Sartre. Il peut aussi refuser d’en admettre la nécessité ou la réalité, comme les pacifistes.

Je colle cette analyse orwellienne sur les bourgeois qui accusent Nicolas Sarkozy d’ « antagoniser » ou d’être un « diviseur » (moi, je lui reproche de mauvaises politiques, et je lui reproche de ne diviser qu'en paroles : il y a des conflits réels en France, il faut les assumer, trier le bon grain de l'ivraie et trancher, quitte ensuite, mais seulement ensuite, à coudre). Non, diviser n'est pas une faute quand c'est une nécessité politique.

Ces mêmes gens ne voient dans les terroristes que des isolés ou des faux terroristes, pour ne pas assumer un conflit qui crève pourtant les yeux. Toujours minimiser, toujours détourner le regard, toujours « un instant monsieur le bourreau ». Tout plutôt que d'assumer la nécessité de se battre (et donc de faire des sacrifices). Refuser le très prolétarien mot de Clemenceau : « Le vainqueur c'est celui qui peut, un quart d'heurt de plus que l'adversaire, croire qu'il n'est pas vaincu. »

Bien entendu, ces bourgeois fuyant le conflit sont des admirateurs d'Alain Juppé (« Ah ! Il est brillant », avec des intonations rendues humides par l'amour). Leurs aïeux disaient, « c'est Pétain qu'il nous faut » et pour les mêmes raisons : la promesse illusoire d'une remise en ordre sans remise en cause.

De Gaulle, parlant à Peyrefitte, tapait juste : « Vos journalistes ont en commun avec la bourgeoisie française d’avoir perdu tout sentiment de fierté nationale. Pour pouvoir continuer à dîner en ville, la bourgeoisie accepterait n’importe quel abaissement de la nation. Déjà en 40, elle était derrière Pétain, car il lui permettait de continuer à dîner en ville malgré le désastre national. Quel émerveillement ! Pétain était un grand homme. Pas besoin d’austérité ni d’effort ! Pétain avait trouvé l’arrangement. Tout allait se combiner à merveille avec les Allemands. Les bonnes affaires allaient reprendre ».

On remplace « Pétain » par « Juppé », on peut garder « les Allemands », et cette phrase correspond à merveille à nos bons bourgeois d'aujourd'hui.

Hélas, il y a un petit hic de rien du tout, un minuscule caillou dans la chaussure : l'histoire est tragique et la vie est violente. Moins dans le XVIème et à Versailles, certes, mais quand même un peu.

Vous me direz que, dans le XVIème et Versailles, il y a aussi la vieille aristocratie qui sait, par tradition, qu'il faut se battre. Mais elle s'est beaucoup embourgeoisée.



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