lundi, mars 24, 2014

Le ras-le-bol de la politique politicienne : les causes profondes

Abstention, vote FN : le ras-le-bol de la politique politicienne

Le constat :

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On se souvient de la difficulté à s'implanter de la IIIe République, gangrénée par les affaires de corruption (scandales de Panama et des décorations), ou d'atteinte à la liberté d'opinion (affaire des fiches). Pourtant, malgré tout, il restait clair que ces pratiques, lorsqu'elles étaient mises en lumière, pouvaient faire tomber un gouvernement ou un ministre et heurtaient une morale laïque partagée par tous. Qu'elles aient été moins ou aussi fréquentes qu'aujourd'hui, ces pratiques étaient à tout le moins considérées comme anormales et condamnables. Aujourd'hui, un gouvernement ne tombe plus pour une sombre histoire d'écoute et d'atteinte à la liberté ; un parti politique qui finance sa campagne de façon malhonnête garde pignon sur rue ; sans parler des glauques affaires sexuelles d'un ancien candidat à la présidence. Les Français sont-ils choqués ? Sans doute.

Mais rien ne se passe. Ils en ont pris leur parti. Ces affaires ne sont au demeurant que la partie immergée d'un iceberg qui met en péril le navire de notre démocratie: c'est le sentiment que les hommes politiques ne cherchent qu'à conquérir, garder ou retrouver le pouvoir, en servant les intérêts du camp qui les soutient, sans attention au bien commun ; que les promesses électorales sont systématiquement non tenues et que les électeurs ne sont pas considérés comme des citoyens à qui l'on doit la vérité et le respect.
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L'analyse :
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 Pourquoi cet effondrement des principes qui garantissent la légitimité de notre démocratie? C'est là qu'un passage par l'histoire des idées s'impose. Comme l'avait montré Leo Strauss, la fracture de la politique moderne a consisté, avec Machiavel, dans le fait d'abandonner l'exigencede vertu au service du bien commun qui était le but de la politique traditionnelle. Non sans arguments, Machiavel, puis Hobbes, Locke et les Lumières ont considéré que l'écart entre l'objectif des Anciens et leur pratique était trop important. Il a donc fallu abaisser le seuil d'exigence de la conduite politique: remplacer l'objectif de bien gouverner par celui de prendre ou garder le pouvoir, troquer la quête de la vertu pour la recherche de la force et de la ruse (Machiavel) ; chercher la division et la neutralisation des pouvoirs pour garantir la paix civile (Montesquieu). Toutes ces stratégies ont abouti sur le plan des institutions à une démocratie qui a pu fonctionner sur des mécanismes électifs garantissant l'expression des diverses opinions et sur des institutions permettant l'équilibre ou l'alternance des pouvoirs. Mais ces institutions étaient ancrées sur d'anciens réflexes, et notamment sur la création d'une élite, ou pourrait-on dire d'une aristocratie certes non héréditaire, mais encore marquée par le souci d'un bien commun, d'un certain esprit de service, d'un souci d'honnêteté (pensons à de Gaulle payant les factures d'électricité de l'Elysée relatives à sa consommation personnelle!). L'effondrement des principes éthiques, la mise entre parenthèse de la notion de bien commun, la foi en un complet relativisme des conceptions du bien ont réduit à néant cet héritage. Désormais, plus rien ne vient obliger les politiques, rien ne vient transcender leurs objectifs de carrière, leurs accords partisans, leur appétit de pouvoir. La démocratie a oublié ce que Rousseau avait rappelé : elle peut encore moins vivre sans vertu, au sens des qualités requises pour agir en fonction du bien, que l'aristocratie ou la monarchie. Les Anciens le savaient, les Modernes tant qu'ils ont gardé cette mémoire le savaient encore. Les postmodernes que nous sommes l'avons oublié. La démocratie s'est recroquevillée sur un mécanisme purement procédural. Seul compte le sacre de l'élection pour légitimer le pouvoir alors que la politique ancienne savait que, quel que soit le mode de désignation des gouvernants, leur légitimité tenait à leur souci du bien commun. Cette exigence s'est perdue. L'adhésion aux institutions, le sentiment d'appartenance au corps social, risquent de se dissoudre dans le triomphe de l'individualisme, du consumérisme et du relativisme. Retrouver le souci du bien commun est devenu une urgence politique.

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Cette analyse tombe pile-poil dans les idées d'un livre dont je suis en train de vous écrire la recension : Modérément moderne, de Rémi Brague.

Brague soutient que la modernité est intellectuellement et spirituellement stérile. C'est un parasite qui se nourrit d'idées et de valeurs produites avant lui, jusqu'à ce qu'il les aient tuées (c'est pourquoi la modernité est parasite et non héritière), après quoi il ne reste plus qu'un champ de ruines.

L'article ci-dessous fournit un exemple concret de cette mécanique infernale : pour fonctionner, la démocratie moderne a besoin que ceux qui sont investis du pouvoir aient encore une conception aristocratique de leurs devoirs. Mais la démocratie moderne détruit les valeurs aristocratiques (1). A la fin, il ne reste plus rien, ni démocratie, ni aristocratie.

On peut dire la même chose du libéralisme moderne. Il a besoin, pour fonctionner, que l'homme ne soit pas la mesure de toute chose, autrement dit, il a besoin de Dieu. Mais le libéralisme moderne sape l'idée de Dieu. A la fin, il ne reste plus ni Dieu ni libéralisme.

Enfin, l'exemple le plus flagrant n'est-il pas l'«art» contemporain ? Il s'est construit en se moquant de l'art classique. Le homard en plastique de Jeff Koons ne vaut rien s'il n'y a pas de château de Versailles pour l'y pendre. Le LOHOOQ de Duchamp a besoin que Leonard ait d'abord peint la Joconde. A la fin du processus, aujourd'hui, il ne reste plus rien : l'art est mort et il n'y a plus qu'un marché spéculatif pour trous-du-cul friqués à la François Pinault, qui ont moins de goût que ma concierge.

Vous avez compris l'idée.

Il va devenir urgent que je termine mon billet sur Brague, mais je viens de vous en dévoiler l'essentiel.

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(1) : vous qui vous plaignez que les politiciens n'aient plus ces valeurs, qui sont, de fait, aristocratiques, seriez vous prêts à voter pour un aristocrate (à supposer qu'il en reste) et qui se comporterait comme tel ?

Dieu rit des prières qu'on lui fait pour écarter des maux dont ... Antienne connue.

Je crois que les Anglais peuvent encore voter pour un aristocrate et que c'est ce qui les sauve.

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