samedi, octobre 24, 2009

Le naufrage, 16 juin 1940 (E. Roussel)

J'aime bien cette collection Les journées qui ont fait la France.

Cet ouvrage souffre du même défaut que l'indépassable L'étrange défaite : il ne fait pas assez de place aux habiles manœuvres hitlériennes.

Mais, pour ce qui est de l'analyse interne française, on est toujours frappé (on peut aussi citer les célèbres pages de Mémoires de guerre) de la médiocrité du personnel politique et militaire, des beaux parleurs, des combinards, des princes de la combinazione de couloir, mais des hommes d'action bien peu. Et les rares hommes de valeur sont piégés par un système mauvais.

L'armistice, pourquoi pas ? Mais l'armistice pour mener une politique partisane, en collaboration avec l'ennemi et au prix du malheur du pays, c'était une trahison.

Qu'un maréchal de France, qu'un commandant en chef et que plusieurs ministres se fissent les actifs promoteurs de cette trahison est révélateur de la déliquescence des hommes et des institutions. On connaît le mot terrible de Reynaud sur Pétain : «Il a bonne mine aujourd'hui. Il a du apprendre de mauvaises nouvelles.»

Le cas de Paul Reynaud est à part : plus velléitaire que réellement ferme, il fut inférieur à la situation. Le malheur de la France voulut qu'il n'y eut pas de solution de rechange.

On épiloguera encore longtemps sur le rôle néfaste de sa maitresse, Hélène de Portes, une connasse défaitiste et hystérique. Des témoins racontent leur stupéfaction devant l'attitude de cette femme se comportant comme une vice-présidente du conseil.

Mais il ne faut pas exagérer : Paul Reynaud, en ces heures tragiques se montra incapable de lui «claquer le beignet». Ca dit assez sa faiblesse : on n'imagine pas De Gaulle, Roosevelt, Churchill, Hitler ou Staline laissant leurs dames se mêler de tout.

Le pacifisme fut également une des plaies de ce gouvernement d'agonie. Il est inutile de s'étaler sur le bêtise du pacifisme : pour être en guerre, il n'y a pas besoin d'être belliqueux, il suffit que quelqu'un le soit contre vous.

Longtemps, le débat sur les causes et les circonstances de ce naufrage fut entre la carence des institutions et la médiocrité des hommes. La réponse gaulliste de 1958 fut de changer d'institutions.

En 2009, où l'on retrouve des difficultés de cette époque (naufrage annoncé que rien pourtant ne semble pouvoir éviter, invasion, médiocrité des politiciens, pacifisme bêlant), on peut être plus dubitatif : nous avons d'autres institutions que celles de 1940 et pourtant nous sommes dans la merde.

Puis vint De Gaulle. Il surgit d'un autre milieu, à part de la politique (l'armée) avec une culture, à part du républicanisme(monarchisme social). Pour se comporter différemment, il faut vivre et penser autrement.

Je me demande si notre société a encore des réservoirs de secours de vrais rebelles. On nous assomme d'un discours de «diversité» et d'«ouverture», mais la réalité est celle d'un conformisme étouffant et d'une intolérance pointilleuse à toute pensée minoritaire.

Aujourd'hui qu'une rébellion de pacotille, la «rebel attitude» (1), est à la mode, le conservatisme est insupportable et est pourchassé comme tel (systématiquement taxé de fasciste ou de réactionnaire, ou simplement de «ne pas vivre avec son temps» -comme si ce n'était pas une marque d'intelligence en des temps stupides). Cette intolérance présage mal de l'éclosion et de la survie de rebelles de secours.

Il faut dire, pour l'expliquer, que la société française de 2009, présente beaucoup plus de traits communs avec le totalitarisme (2) que la société des années 1930.

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(1) «A quoi reconnaît-on un rebelle sur un plateau de télévision ? Facile : tout le monde est d'accord avec lui.» E. Lévy

(2) : notamment avec le nazisme et son usage très moderne des méthodes de propagande et de création d'un unanimisme artificiel.

5 commentaires:

  1. « Il est deux catégories de Français qui ne comprendront jamais l’histoire de France : ceux qui refusent de vibrer au souvenir du sacre de Reims ; ceux qui lisent sans émotion le récit de la fête de la Fédération. »

    — Marc Bloch, L'Étrange Défaite

    Il est frappant de voir combien le texte de Marc Bloch s'applique bien à l'époque actuelle. Le constat sans faiblesse qu'il dresse de la tragédie de mai-juin 40 est d'une clairvoyance totale 70 ans plus tard. D'où viendra le coup de massue: de la dramatique faiblesse de notre économie, de l'état calamiteux des finance du pays, d'une invasion souterraine d'une population étrangère à nos valeurs? Je n'ai pas de réponses, que des inquiétudes, mais comme en mai 40, les éléments du puzzle sont là. Je suis cependant convaincu que la période de Vichy est tout, sauf un accident dans notre histoire et ce, malgré les appels incessants aux mânes de la Résistance. Ce régime, surtout dans sa période initiale (jusqu'en novembre 42), si honni à notre époque, n'est-il pas celui qui convient le mieux à notre pays quand on voit le comportement de ses élites et de la majorité de ses citoyens? J'ai du mal à deviner qui pourra être un nouveau de Gaulle en cas de crise ouverte et puis, est-ce si utile qu'il y en est un qui surgisse à nouveau quand on voit la situation actuelle? Après tout, nous arrivons peut être au terme d'un long processus entamé en 1789 et qu'un aveuglement idéologique nous empêche d'analyser correctement. .

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  2. C'est très juste, notamment votre comparaison avec le nazisme.
    Je vous suggère la lecture de mon livre (gratuit) intitulé la nouvelle extrême-droite, et qui développe cette idée :
    http://tatamis.blogspot.com/2009/09/la-nouvelle-extreme-droite-livre.html

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  3. j'ai commencé à lire Roussel, ça m'a l'air solide mais je partage entièrement votre déploration : encore un livre sur une oeuvre de Hitler (l'effondrement français en l'occurrence) qui ne parle de celui-ci que très marginalement.

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  4. Je ne comprends pas très bien le mécanisme de détachement de la France vis-à-vis de la Grande-Bretagne. Si l'on suit Lukacs, la décision britannique de continuer la guerre a été prise fin mai et s'est renforcée ensuite.

    Pour se délier de l'alliance, les Français avaient besoin de se persuader que la résistance anglaise ne durerait pas, que l'Angleterre aurait le cou tordu comme un poulet (expression de Weygand ?)

    A-t-on trace quelque part d'une étude circonstanciée, chiffrée, professionnelle, des capacités de résistance britanniques ou s'est-on contenté coté français de on-dits, de non-dits, d'impressions, de ressentis ?

    On a le sentiment quand on lit le récit de ces journées tragiques que le gouvernement français fait preuve de fébrilité et d'amateurisme. J'admets l'excuse des circonstances épouvantables (le 10 juin fut une journée d'agonie pour de Gaulle), mais il y a des précédents historiques plus flatteurs : Napoléon en 1814, le gouvernement Viviani pendant la bataille de la Marne

    Réciproquement, a-t-on trace des messages allemands, directs ou indirects, à destination du gouvernement français argumentant que la Grande-Bretagne n'avait pas les moyens de résister longtemps ?

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  5. A-t-on trace quelque part d'une étude circonstanciée, chiffrée, professionnelle, des capacités de résistance britanniques ou s'est-on contenté coté français de on-dits, de non-dits, d'impressions, de ressentis ?
    (...)
    Réciproquement, a-t-on trace des messages allemands, directs ou indirects, à destination du gouvernement français argumentant que la Grande-Bretagne n'avait pas les moyens de résister longtemps ?
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    c'est là qu'on ne peut pas se passer de Hitler dans le récit.

    Tout le monde connaît la percée de Sedan et l'utilisation magistrale de la tactique nouvelle du corps blindé, encore que l'antinazisme primaire s'ingénie depuis 1945 à prétendre que Hitler n'y était pas pour grand-chose. Mais très peu attirent l'attention sur la préparation diplomatique et, tout simplement, la mise en scène de l'affaire : une longue "drôle de guerre" qu'il s'ingénie à faire interpréter comme une marque de faiblesse et d'hésitation alors qu'il peaufine jour et nuit ses plans et son dispositif, une action de gagne-petit (Sarre, Autriche, Sudètes, Tchécoslovaquie, Pologne, Danemark, Norvège) qui dure déjà depuis cinq ans et donne à penser qu'il tremble de se mesurer à des pays comme la France ou l'Angleterre : tout est fait pour que, lorsqu'il avance le 10 mai, on croie qu'il n'en veut qu'au futur Benelux et qu'on n'a donc rien à perdre à s'y ruer.

    Donc ce avec quoi on est aux prises, c'est l'art nazi de la surprise et de la vitesse, toujours le même depuis l'incendie du Reichstag et toujours inaperçu. Mais ce défaut n'a rien de français. Tout le monde s'y laisse prendre, à commencer par Roosevelt et Staline. Difficile d'en tirer la moindre leçon idéologique.


    Je pense, chemin faisant, avoir répondu à vos deux questions : aucune étude sérieuse par la France des possibilités de résistance britanniques, parce que cela va trop vite; beaucoup d'intox allemande à cet égard, mais ce n'est pas cela qui est décisif, c'est le déboussolage que crée la manifestation brusque d'une apparente tout-puissance allemande.

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