mercredi, octobre 14, 2009

Journée d'étude Blériot

Hier, au CNAM, il y avait une journée d'étude sur Blériot, pour le centenaire du transfert du Blériot XI au conservatoire des arts et métiers (programme joint).

Les interventions étaient assez inégales, mais l'ensemble était fort intéressant, les points saillants et les questions que j'en ai retenus :

> Blériot a monté l'entreprise de phares à acétylène qui allait faire sa fortune seulement deux ans après sa sortie de l'école. Comment a-t-il obtenu l'exclusivité pour le carbure de calcium, vitale pour son commerce ? (1)

> Quel a été exactement le rôle de sa femme, visiblement primordial mais sans qu'on ait les détails ?

> les comptes de la société Blériot ayant été perdus, il est difficile de connaître précisément certaines étapes. On ne peut se fier qu'à des sources indirectes, correspondance, témoignages.

> Blériot ne reçoit pas un sou d'argent public (on le sait par recoupements). Tout l'argent des accessoires automobiles est investi dans l'aviation presque jusqu'à la ruine. Pour donner un ordre de grandeur, un avion lui coutait autour de 150 000 francs de l'époque, c'est-à-dire environ 800 000 € (c'était de la haute technologie), et il en a cassé plusieurs dizaines avant d'arriver au Blériot XI.

> Blériot est très bien implanté en Angleterre, bien que parlant Allemand (ces relations en Allemagne avec Continental, qui fournit la toile caoutchoutée de ses avions, restent un mystère). C'était un homme de commerce, il saura très bien communiquer (pas besoin d'internet ! Le lendemain soir de son exploit, un premier film est déjà diffusé à Londres).

> Le premier avion de Blériot est à ailes battantes (!). Quelques années plus tard, le Blériot XI a une configuration très moderne. Blériot savait partager les risques en s'associant et aussi rompre une association non profitable sans se faire d'ennemis. Cela l'a assurément aidé dans ses choix, sautant de cheval en cheval, prenant le meilleur de chacun. Il reste des zones d'ombre sur cette évolution fulgurante.

> En décembre 1908, Blériot a la réputation d'être l'aviateur qui tombe, plusieurs dizaines de chutes à son actif. Il ne vend pas un avion, il est au bord de la ruine. Sept mois plus tard, le 25 juillet 1909, il réussit la traversée de la Manche et devient le premier industriel aéronautique français, donc mondial.

Ces quelques mois cruciaux ont fait l'objet de travaux mais ne sont pas entièrement connus. Il change de moteur, il change d'hélice, il modifie le profil de son aile, il pilote lui-même pour éviter de se faire bourrer le mou par les essayeurs, il commence la construction de l'usine comme s'il était sûr de vendre ses avions comme des petits pains.

Parmi les zones d'ombres, il y a le réseau centralien : les centraliens de l'époque occupent des postes clés dans les industries naissantes automobiles et aéronautiques. On se doute bien par certains recoupements et quelques coïncidences qu'ils ne furent pas innocents dans la réussite de Blériot.

Une question porte notamment ses relations avec Eiffel. La soufflerie Eiffel voit passer le Blériot XI en août 1909, c'est-à-dire après l'exploit. Etrange.

Sachant que Eiffel était tenu par des accords d'exclusivité, a-t-il aidé Blériot discrètement avant et comment ? On sait grâce à la correspondance qu'ils se sont vus, mais pour quoi ?

Enfin, une remarque au passage : le public sait qu'Eiffel a été centralien alors qu'on l'ignore de Blériot. Cela tient me semble-t-il au fait que les premiers aviateurs ont été présentés pour les besoins de la propagande comme des aventuriers un peu chanceux. En réalité, ceux qui réussirent, à commencer par les frères Wright, furent les entrepreneurs méthodiques.

A été aussi évoquée la carrière ultérieure de Blériot, moins rose dans l'après-guerre.

En tant que plus gros industriel de l'aéronautique militaire, il a particulièrement souffert de cette fameuse réunion d'avril 1918 où l'état-major a dit aux industriels : «La guerre va encore durer des années. Produisez, produisez.» Evidemment, six mois plus tard, il se retrouvait avec des montagnes d'invendus sur les bras.

De plus, il a eu le malencontreuse idée de protester publiquement contre l'impot de guerre, se faisant rouler dans la boue par les politiciens sur le thème de Blériot l'escroc, Blériot l'accapareur. Cet impot lui a retiré les moyens de bâtir les routes aériennes qu'il envisageait comme suite naturelle pour l'aviation.

Des politiciens français qui insultent les industriels tout en les rançonnant et en leur ôtant les moyens de leur développement, ce n'est pas aujourd'hui que ça arriverait.

Mais, comme toujours, les vrais héros savent à quoi s'en tenir : le premier homme que Lindbergh a demandé à rencontrer en arrivant au Bourget, c'est Blériot.

Ensuite, on connaît le chant du malheur de l'industrie aéronautique française de l'entre-deux-guerres : budgets en chute libre, tissu industriel disparate, interventions étatiques brouillonnes, recherche fondamentale faible et incohérente (2).


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(1) : les phares à acétylène fonctionnent ainsi : on verse de l'eau sur du carbure de calcium la réaction produit de l'acétylène qu'on peut employer soit pour sa lumière, soit pour sa chaleur. Une fois la réaction lancée, il est difficile de l'interrompre, mieux vaut la laisser aller jusqu'au bout. Ce n'est pas très souple, mais il faudra attendre les années 20 pour que les phares électriques supplantent ce système.

(2) : ces mots ne pourraient-ils d'ailleurs pas s'appliquer en 2009 ? Bernard Chabbert avait intitulé son éditorial dans Aviasport de juin ou juillet «La France n'est plus une nation aéronautique». C'est vraiement l'impression que l'on a quand s'intéresse à ces choses. Mon sentiment est qu'après le cataclysme de l'été 40, la France a décidé d'être intelligente et de laisser faire ceux qui savent, industriels et fonctionnaires. Ca a donné l'aéronautique des années 50 à 70. Nous vivons là-dessus. Et depuis les années 90-2000, le naturel revient au galop, nous retombons dans notre tracassin bureaucratique, dans les querelles mesquines, dans les petits gains, les petits pas, les satisfactions de peu, les «tant qu'on ne recule pas, c'est déjà bien», les «Ouh, là, là, mon bon monsieur, c'est trop risqué».

1 commentaire:

  1. Peut-etre un texte en rapport avec ce que vous évoquez, Franck (à vous de juger)

    Jean Esope

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