jeudi, juin 11, 2009

AF447 : les inconvénients de la philosophie Airbus

La philosophie Airbus consiste à considérer le pilote comme un animal dangereux dont il faut limiter la capacité de nuisance. Cette idée est appuyée sur les statistiques (bien sûr, ce n'est pas ainsi qu'Airbus le présente, mais c'est un habillage marketing, la réalité est bien celle-ci).

Cependant, elle pose deux problèmes :

> elle oblige l'avionneur à être exhaustif. Le calculateur n'improvise pas : soit la situation est dans ses algorithmes,soit elle n'y est pas. Si elle n'y est pas, il peut se passer n'importe quoi.

Or, l'exhaustivité est difficilement accessible à l'être humain, concepteur de la machine (1). C'est pourquoi il y a toujours, malgré tous les tests et certifications, la crainte qu'une faille de conception (des algorithmes contradictoires, une situation imprévue ...) amène des réactions de l'avion totalement baroques.

De plus, on aboutit à des systèmes si complexes que la correction d'un défaut quelque part peut en créer un autre ailleurs.

Quand la bête sort de son domaine, les réactions qu'elle engendre peuvent être totalement anti-physiques, comme ces cas d'avions qui contrent un décrochage inexistant.

L'inconvénient de la complexité est que la combinatoire est quasi-infinie (à l'échelle humaine) et que, comme disaient les premiers pilotes, hors du domaine, c'est le territoire de la bête.

> les pilotes sont endormis par tous ces filtres et protections. Quand vient le moment de faire face à une panne, non seulement l'avion a des réactions étranges pas forcément liées à la réalité physique de l'appareil, mais en plus les pilotes éprouvent des difficultés à remettre en cause les indications d'un système sur lequel ils se reposent habituellement.

Boeing a suivi Airbus de loin dans sa philosphie. Par exemple, contrairement aux Airbus, les Boeing avaient jusqu'à récemment de vrais circuits de secours, c'est-à-dire des tringles, des vérins, aucun calculateur susceptible d'avoir des bugs cachés ; alors que même sur les circuits de secours, Airbus refuse de laisser totalement la main aux pilotes.

Cette philosophie Airbus a amélioré la sécurité des vols. Cependant, il semble qu'on atteigne un palier.

Le niveau de sécurité est tellement élevé que les inconvénients que je viens de vous citer commencent à équilibrer les avantages.

Bien sûr, on peut essayer de s'attaquer au problème de l'exhaustivité. Mais c'est la course à l'horizon (qui, comme chacun, sait, recule à mesure qu'on s'en approche). On se heurte au mur de la complexité, si il faut trois jours de réflexion à un pilote pour comprendre ce que fait son avion, c'est pas bon. C'est là que l'idée de Boeing de conserver des systèmes de secours simples n'est pas forcément idiote (2).

L'autre axe est bien entendu la formation des pilotes. A ce propos, il paraît que les cadets Air France sont endoctrinés à se croire le sel de la terre, les seigneurs du ciel. Un petit tour en Pitts leur ferait peut-être dégonfler les chevilles : l'immodestie n'est jamais très bonne dans un cockpit, sachant que les éléments et la physique finissent toujours par être les plus forts.

Mais il faudra bien sortir d'une manière ou d'une autre de ce cercle vicieux : plus le pilote est assisté, moins il est dangereux en situation normale mais plus ses sensations s'atrophient. Après quoi, il s'avère dépourvu de sensations pour faire face à un imprévu de plus en plus improbable mais tout de même possible.

Je n'ai pas la réponse, mais je soupçonne qu'un compagnonage sur des lignes «exotiques» (3) ne serait pas forcément idiot. Evidemment, c'est totalement utopique car ça ne répond pas à la double contrainte, économique et bureaucratique, que je vous évoquais dans un autre message.

Et puis, l'imagination est rarement au pouvoir dans les grosses boites.


(1) : le fait de rassembler une fouletitude d'humains dans une organisation ne compense qu'en partie ce problème d'exhaustivité, car l'organisation, avec ses frontières et ses interfaces, a ses propres manques.

(2) on dit souvent que les Airbus sont des avions d'ingénieurs, de bureaucrates et de pilotes d'essais (dans cet ordre) et les Boeing sont des avions de pilotes de ligne. C'est une médisance américaine, mais il y a tout de même un peu de vrai.

(3) : là, on peut tout imaginer, le fond de l'Afrique avec ASF, l'épandage agricole aux USA, etc ...

5 commentaires:

  1. vous ne citez pas la dépendance aux capteurs. On calcule très bien mais sur des données fausses..

    RépondreSupprimer
  2. "Mais il faudra bien sortir d'une manière ou d'une autre de ce cercle vicieux : plus le pilote est assisté, moins il est dangereux en situation normale mais plus ses sensations s'atrophient."

    Solution: plus de pilotes humains...
    Juste pour info d'ici quelques années il n'y aura plus de pilotes humains:

    http://harryseldon.thinkosphere.com/2009/05/19/control-systems-102-gnc-and-human-pilot

    (En anglais)

    RépondreSupprimer
  3. Oui, mais on retombe sur le problème d'exhaustivité : que fait la machine dans une situation imprévue ?

    Il y a la fameuse blague d'Air Inter à l'arrivée des premiers Airbus : désormais, dans les cockpits, il y aura un pilote et un chien. Le pilote pour rassurer les passagers et nourrir le chien. Et le chien pour surveiller que le pilote ne touche à rien.

    Dans le cas d'AF447, si il se confirme que c'est un problème de pitots, l'ordinateur est plus con qu'un humain.

    RépondreSupprimer
  4. Avez-vous vu ceci, Franck? Cocasse non?

    de la France

    RépondreSupprimer
  5. Effectivement il y a cette fameuse blague. J'ai aussi en tête un dessin humoristique où un pilote est derrière une vitre avec la mention "briser la vitre en cas d'urgence"...

    Plus sérieusement, la question que vous posez est une excellente question technique à laquelle les ingénieurs répondent au mieux au quotidien. Mais au niveau système ou au niveau stratégique la question intéressante est l'amélioration globale de la sécurité par plus d'automatisation et moins d'intervention humaine. Vous en avez donné la réponse "Cette philosophie Airbus a amélioré la sécurité des vols".

    Quant "au palier", je ne pense pas qu'il soit atteint. Prendre sa voiture reste plus dangereux que prendre l'avion comme l'avait oublié la rescapée de l'AF447 qui s'est tuée hier en voiture.
    L'automatisation se poursuit. Par exemple Air&Cosmos parlait la semaine dernière de 2 nouveautés sur la gamme Airbus : une plus grande automatisation du freinage et dégagement de piste (BTV) et une automatisation des procédures d'anticollision en suivi de TCAS. Je vous accorde qu'ils n'ont pas adapté le calendrier de publication de cette nouvelle.

    RépondreSupprimer