jeudi, février 07, 2008

Le Figaro et les taxis

J'ai trouvé ces deux articles du Figaro fort plaisants. Et puis, cette affaire de grève des taxis est tellement affligeante pour tout le monde, taxis, gouvernement, opposition, citoyens ordinaires, que la seule manière de n'en point désespérer est d'en rire.



Fable

mschifres@lefigaro.fr
06/02/2008 | Mise à jour : 20:12 |
.

Le billet de Michel Schifres du 7 février.

Ce jour-là, le prince, qui entendait que tous ses sujets travaillassent davantage afin de mieux vivre, convoqua l'un d'entre eux de bonne réputation. Il lui demanda d'imaginer quelques recettes donnant au peuple le goût de produire davantage. Notre homme pensa aussitôt à la poule au pot, plat plaisant et mythique mais insuffisamment consommé, faute de volatiles. Il recommanda que chacun ait la liberté d'en élever. C'était une suggestion : rien n'était décidé, aucune étude n'était faite, personne ne s'était prononcé. Pourtant aussitôt, pour protester, les quelques producteurs de gallinacés lâchèrent leurs cocottes dans les villes, créant une belle pagaille. Le gouvernement fit ce qu'on fait en de telles occasions. Il trouva les inquiétudes «légitimes» et annonça une «réflexion». Puis on passa à autre chose.



Pas de taxis, pas de clients


06/02/2008 | Mise à jour : 20:14 |
.

La chroniquede Stéphane Denis du 7 février.

Le voyageur débarqué la veille de ses contrées lointaines n'en croyait pas ses yeux : il y avait des taxis dans Paris. Même ils passaient en rangs serrés comme sur la V e Avenue. Hélas, ils ne prenaient personne. C'était comme d'habitude, sauf qu'il y en avait plus. On lui expliqua qu'il s'agissait d'une manifestation visant à obtenir du gouvernement que les choses restent en l'état : pas de taxis, pas de clients.

Depuis plusieurs années il se demandait pourquoi cela ne marche pas à Paris comme ailleurs. À New York les taxis étaient jaunes. C'étaient souvent des Ford. Les enjoliveurs, un souvenir. Il y en avait autant la nuit que le jour. Ils s'arrêtaient quand on levait le bras. Les tarifs étaient bas. Les chauffeurs connaissaient la ville. Il y avait des exceptions mais dans l'ensemble le taxi new-yorkais était un compagnon fidèle, peu bavard et compétent. La deuxième qualité l'emportait sur les autres, d'autant que la plupart ne parlaient qu'un anglais approximatif. Les coffres étaient vastes. À la sortie des bureaux, des music-halls, des hôtels, il y avait de la compétition mais on finissait toujours par monter en voiture. Elles étaient généralement cabossées, sauf les 4 × 4 climatisés qui commençaient à snober les Ford puantes. Les familles nombreuses les guettaient devant les aéroports sous la surveillance des contrôleurs payés par la municipalité. À la longue, lever le bras dispensait de se poser des questions. C'était devenu un réflexe et comme tous les actes de foi, il était récompensé.

À Londres les taxis étaient conduits par des êtres jeunes, amateurs de football et jaloux de l'éclat de leurs carrosseries. On y tenait à cinq. Depuis dix ans la publicité exerçait ses ravages. Ils distribuaient des reçus automatiques. Ils faisaient demi-tour sur place, provoquant la fureur des Bentley des traders. On sifflait volontiers pour en appeler un. Ils somnolaient à l'angle des places comme autrefois dans le brouillard. La marque préférée venait d'Oxford : Austin. Les portières se fermaient automatiquement dès qu'on avait commencé à rouler dans un bruit de coffre-fort. Plusieurs chauffeurs détestaient ouvertement les Français. Leurs files patientaient indéfiniment vers Heathrow. Le long du Mall, ils ne manquaient pas de vous montrer le derrière de la reine Victoria en disant : «Buckingham Palace». Les plus rapides franchissaient à la corde le Hyde Park Corner et prenaient deux longueurs d'avance vers Knightsbridge sur leurs pneus chuintants. Il était conseillé de laisser sa monnaie. Ils étaient sûrement les seuls à faire la différence entre terrace, lane, road, square. Certains étaient réservés aux femmes. Le compteur augmentait tous les trois cent onze mètres et la concurrence déloyale donnait lieu à des explications punitives par les réguliers armés de battes de base-ball. Devant le Savoy ils faisaient la ronde sous la voûte Art déco comme pour un défilé de couture et mieux valait ne pas leur couper la route, surtout à pied. Ah oui, ils étaient chers.

À Berlin les postes stratégiques étaient pris d'assaut vers 4 heures, mais les courses interminables se faisaient en euros. Les chauffeurs avaient la nationalité imprécise et l'allemand sentait le turc. Cependant les adresses étaient exactes et personne ne rechignait à attendre que vous en ayez fini avec votre rendez-vous. Personne non plus ne se souvenait que taxi était le nom d'une vieille et industrieuse famille princière, pas même la blonde qui en était l'héritière.

À Rome il était utile de connaître leurs trajets pour les suivre vers le centre-ville quand on n'avait pas soi-même l'autorisation d'y pénétrer. Les voitures étaient vieilles, cernées par les pirates, peu aimables, le compteur tournait à l'arrêt et il fallait négocier pour gagner la banlieue.

À Bruxelles on roulait en Mercedes qu'on commandait par téléphone, les bévues étaient nombreuses, les tarifs exorbitants, les voitures blanches, les sens uniques. Sur chaque toit, un spoutnik jaune et bleu rappelait ingénument les années soixante et des Belges passionnés étaient toujours prêts à parler politique en lâchant leur volant.

À Madrid on marchait dessus, la lumière était verte, on discutait les prix.

À Moscou on payait en devises étrangères, la compagnie officielle avait des damiers noirs, les compteurs ne marchaient pas, il fallait commander à l'avance et attendre un temps fou. Tandis que les grands hôtels avaient monté leur propre service, partout de rapides entrepreneurs privés s'arrêtaient dans la rue à la demande et c'était le moyen le plus sûr de se déplacer.

La manifestation se déplaçait vers la porte Maillot dans le but d'aller bloquer l'aéroport de Roissy. Dans son avenue vide et sale le voyageur songeant que si aucun système n'est parfait, ils semblaient être partout assez efficaces, se disait que dans toutes ces villes il y a des taxis. Ce n'était pas comme à Paris. Aucune bonne histoire n'a d'ailleurs jamais été écrite qui s'y passerait dans un taxi, à part un Simenon peut-être, et encore s'agissait-il d'une simple filature. Une profession qui n'a pas sa littérature est une profession qui n'existe pas. Voilà la raison de ces stations désertes, de ces appels sans réponse. Moyennant quoi à Paris il y a deux saisons dans l'année : les grèves et le 15 août.

1 commentaire: