mardi, août 22, 2006

"Si le niveau scolaire baissait, ça se saurait" (rires -jaunes- du public).

Voici deux sujets d'histoire proposés en 1890 au "certif" (c'est-à-dire à des enfants de 12 ans) :

Expliquez à un ami en quoi consiste la tolérance en matière de religion et
pourquoi il faut la pratiquer. Vous lui direz par quel roi et à la suite de quelles guerres
a été rendu l'édit de Nantes, quel autre roi a révoqué cet édit et quelles furent les
conséquences de cette révocation.

Quelqu'un a dit que si Louis XVI avait eu assez de clairvoyance et d'énergie
pour accomplir les réformes qui lui étaient proposées par ses bons ministres,
notamment Turgot, la France eût fait l'économie d'une révolution. Expliquez cette
opinion et dites ce que vous en pensez.


Comme les élèves de lycée de 2006 que j'ai interrogés ne savent pas placer dans l'ordre avec certitude Louis XIV et Napoléon, c'est sûr que le niveau monte !

Voici un sujet de français de 1927 (toujours au "certif", dans une école rurale) :

En vous rendant à l'école vous avez rencontré un mendiant. Décrivez son
costume, ses gestes. Sentiments que vous a inspirés cette vue.


Voici une copie qui a obtenu 7,5/10 :


"Allons, en classe, me dit maman, huit heures et demie ont sonné." Je prends
ma gibecière et m'achemine sans hâte vers l'école. Tout à coup, à l'entrée du village, je
me trouve face à face avec un mendiant. “Quel est cet homme tout déguenillé, me dis-je,
jamais je n'en ai aperçu, ce doit être un mendiant.”


Il est vêtu d'une longue redingote toute trouée, sans doute quelque personne
peu charitable la lui a donnée, n'en ayant que faire. Ses coudes sortent par les
manches ; il a un pantalon de couleurs diverses car il a été raccommodé bien des fois.

Des souliers éculés laissent apercevoir ses pieds salis par la boue ou la poussière du
chemin. Il ne porte point de chaussettes. Il tient à la main un bâton sur lequel il se
soutient. Une barbe hirsute le rend repoussant, elle se mêle à ses cheveux graisseux,
tous les deux sont blancs. Son visage est profondément ridé. Un chapeau assez neuf le
garantit mal du soleil. A ses pieds est couché un chien que le mendiant tient par une
ficelle attachée à son collier. Sur le dos il porte un bissac.

“Tiens, le voilà qui va se mettre à déjeuner.” Il prend un morceau de pain
dans son sac et tout en tremblant en découpe une tranche, qu'il mange avec un
morceau de lard qui sent le moisi ; ses mains tremblent, il peut à peine manger.

Lentement, il referme sa sacoche, et reprend sa marche tout courbé sur son bâton.

En le voyant je songe à toutes les misères qu'il a endurées dans sa vie ; je
pense combien de fois il a couché à la belle étoile, il n'a pas toujours eu un bon repas,
aussi je le plains et je le soulagerais si je le pouvais.

Mais l'heure approche, je passe en le saluant et en mettant une obole dans sa
casquette.


Le vocabulaire comme l'orthographe sont aujourd'hui hors de portée d'un lycéen moyen contemporain. Je veux bien qu'on m'explique que les candidats au certificat d'études étaient sélectionnés, mais tout de même ...

Enfin, ayant appris à raisonner sur des problèmes de trains qui se croisent et de baignoires qui se vident que mon père trouvait dans des manuels d'avant-guerre achetés dans les brocantes, je suis bien prêt à parier que des élèves de terminale S qui savent mécaniquement dériver une fonction seraient bien en peine de résoudre les plus ardus.

C'est un quasi-préjugé de ma part puisque je n'ai testé que dans un domaine très restreint, celui de l'aviation, les capacités scientifiques de lycéens : je suis surpris, et épouvanté, d'entendre de jeunes pilotes ( moins de 20 ans) tenir des "raisonnements" qui sont de parfaits contresens, et, surtout, avoir beaucoup de mal à saisir le raisonnement remis dans le bon sens.

A ma connaissance, cela n'a pas d'influence sur la sécurité de ces pilotes aux commandes, mais sait-on jamais ?

Voici ce qu'en dit le mathématicien Laurent Lafforgue :

En mathématiques, jauger le niveau des bacheliers, en particulier dans la filière dite scientifique, est hors de portée de la plupart des parents, car les programmes usent de mots savants, qui les impressionnent et leur donnent l'illusion qu'on apprend à leurs enfants des mathématiques avancées.

La réalité est tout autre. Ces mots neservent plus à des raisonnements, et ne donnent plus lieu à des démonstrations ; ils ne sont même pas définis avec précision, la clarté et la rigueur ayant disparu des manuels.

Pour les élèves, les mathématiques qu'on leur enseigne se réduisent à l'apprentissage de procédures stéréotypées, qu'ils doivent reproduire comme des automates. Les problèmes consistent en de longues listes de questions dont chacune appelle une réponse immédiate, qui le plus souvent est contenue dans l'énoncé de la question suivante, quand ce n'est pas dans celui de la question posée.

C'est à tel point qu'il n'y a plus besoin de rédiger, que les élèves n'en prennent jamais l'habitude, et que les étudiants des universités scientifiques sont incapables de l'acquérir, car il est trop tard. A vrai dire, rédiger serait bien difficile pour des lycéens qui ne maîtrisent pas la langue française et sa grammaire, dont la connaissance est indispensable pour comprendre ou formuler des phrases abstraites. Or, il n'existe pas de mathématiques sans raisonnement et sans rédaction, ce qui signifie que les prétendues mathématiques du baccalauréat dit scientifique n'ont pas de substance. L'arithmétique élémentaire de l'ancien certificat d'études était certes limitée dans ses ambitions, mais avait une réelle valeur aux yeux du mathématicien professionnel que je suis. En effet, les questions posées étaient concises et exigeaient, pour être résolues, un raisonnement en plusieurs étapes que le candidat devait trouver lui-même et expliquer. Autrement dit, il fallait développer un raisonnement discursif, et raconter par écrit une sorte de petite histoire mathématique. Cela ressemblait bien plus à un authentique travail de mathématicien, ou de scientifique, ou à un travail professionnel, que les actuels problèmes des lycées.

Ici encore, on pourrait soumettre de vieux problèmes d'arithmétique du certificat d'études à des bacheliers “S”. Des élèves à qui on a prétendu apprendre des notions savantes, mais qui se révèleraient incapables de résoudre ces problèmes et de rédiger leurs solutions, feraient la preuve du vide caché sous le pédantisme des programmes.

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