dimanche, août 13, 2006

L'Etat culturel, essai sur une religion moderne (M. Fumaroli)

Plus je connais M. Fumaroli, plus je l'apprécie. Voilà un livre de 1992 qui reste d'actualité. Mais, comme il est susceptible de faire grincer bien des dents, notamment celles des "cultureux", ces charognards des subventions à visées soit-disant culturelles, il a été bien vite oublié ; l'oubli étant le meilleur moyen de neutraliser les idées dangereuses.

L'auteur commence par s'intéresser à l'origine de cette idée saugrenue comme quoi l'Etat devrait se mêler de culture et la subventionner sous peine de voir se créer un "désert culturel". Quand on fait l'historique, cette maxime "Pas de vie culturelle sans Etat" apparaît bien étrange.

En effet, sous l'Ancien Régime, ce sont des individus qui patronnaient ce qui ne s'appelait pas encore la culture. Les raisons politiques n'étaient pas toujours absentes, mais il n'y avait pas de mouvements concertés, d'art officiel, d'administration spécifique ayant pour sainte mission de diffuser la culture.

La IIIème République était libérale par réaction au césarisme de Napoléon III, elle se mêlait très peu des beaux-arts et seulement dans un style très conventionnel. On a appelé ce style "l'art pompier" avec mépris, sans comprendre la philosophie qui le créait : l'Etat n'a pas à imposer ces goûts.

Contrairement à une certaine légende noire dont on s'étonne qu'elle ait quelque crédit, la France de la IIIème République ne fut en rien un "désert culturel", sauf à considérer, et c'est là le coeur du problème, qu'il n'y a de culture authentique que subventionnée. Car, les galeristes, les marchands d'art, les mécènes, les artistes eux-mêmes, tous acteurs privés, ont créé une vie artistique bouillonnante qu'on serait bien en peine de trouver depuis que l'Etat subventionne ce qu'il appelle la culture.

Marc Fumaroli va donc plus loin : non seulement l'Etat ne doit pas subventionner la culture, mais lorsqu'il le fait, il stérilise la vie artistique et la créativité. En effet, l'art est affaire de goûts, de personnalités, d'accointances entre mécène et artiste, bref d'individus. L'Etat, lui, n'a pas de goûts, ou plus exactement il a le goût du bizarre, de la distinction pour la distinction, de "l'exploit" artistique, car il n'a pas de jugement.

On peut constater aisément la véracité de ce propos : alors que la IIIème République a vu passer le fauvisme, l'impressionnisme, la cubisme, est-ce qu'on peut me citer un seul mouvement artistique important en France depuis que l'Etat subventionne les arts, et a ainsi évincé les mécènes ?

L'Etat peut faire une seule chose pour les arts : une Université qui soit la meilleure possible afin qu'existe ce public de lettrés, d'érudits, de gens de goût, qui font vivre l'art. Vous remarquerez que l'Etat manque complètement à cette mission. C'est là un mouvement typique de la France de ces dernières décennies : l'Etat boulimique s'immisce dans des domaines qui ne le concernent en rien, dans une agitation fébrile et insensé, comme pour faire oublier qu'il néglige par incapacité et par irresponsabilité ses vraies missions (1).

La culture subventionnée est une fadaise venue des régimes totalitaires, dont on sait l'attraction qu'ils ont exercé en France, et dont les idées sont toujours présentes sous des formes déguisées (2).

Le totalitarisme était la grande mode dans les années où a été créé le ministère de la culture et Malraux ne fut jamais un libéral mais un communiste repenti.

De plus, Marc Fumaroli s'appuie sur L'étrange défaite, de Marc Bloch, pour argumenter que la société française a perdu confiance en elle-même, en ses ressources, et s'est réfugiée derrière un providentiel "L'Etat sait mieux que nous, l'Etat est plus compétent que nous", comme si les hommes de l'Etat étaient des surhommes.

Ce n'est pas par hasard que le premier gouvernement français à se doter d'une politique culturelle fut celui de Vichy ; qui promut notamment, Dieu me foudroie, les "fêtes populaires". Jack Lang, héritier de Philippe Pétain ? Ce n'est pas si incongru : leurs politiques se rejoignent par le collectivisme.

Fumaroli en profite pour étriper au passage la télévision française, c'est facile mais juste.

Notamment, l'auteur met bien en lumière la définition très particulière de la culture que partagent les fondateurs et les zélateurs de la culture d'Etat : la culture serait un ensemble de choses infiniment précieuses en dépot chez les intellectuels (3) et auxquelles les pauvres n'auraient pas accès et qu'il conviendrait de leur procurer.

Il ne leur vient pas à l'idée que la culture pourrait être un dialogue entre la nature et l'art et que, de même qu'on ne fait pas boire un âne qui n'a pas soif, il ne sert à rien de fournir des oeuvres d'art à qui n'en éprouve pas le besoin.

C'est pourquoi Fumaroli estime que la diffusion de la culture ne peut vraiment se faire que par l'école, qui forme les esprits, qui les met en contact avec l'insolite, qui sélectionne les talents, qui aiguille. Il s'agit non plus comme pour la culture d'Etat de consommation mais de formation.

Et là, il n'y a plus ce mépris, plus ou moins secret, plus ou moins dissimulé, des "cultureux" vis-à-vis des "incultes" pour l'inculture desquels ils condescendent à se soucier : recevant une formation, chacun apprend quelque chose, pas tous la même chose, pas tous de façon aussi poussée, mais tous considérés également comme capables d'apprendre.

Il est étrange de mettre le mot culture à toutes les sauces. Par exemple, "culture scientifique" est un oxymore : la science ne dépend pas tant de ce que l'on sait que de comment on raisonne. Une pensée scientifique, un raisonnement scientifique, on peut le définir, mais une culture scientifique ?

Pour que la vie artistique renaisse en France, il faut en cesser avec cette idée stupide de "démocratiser la culture" : tout le monde n'a pas la vocation, l'envie, le goût, la capacité, de s'intéresser à la culture. La "culture" aujourd'hui, c'est ce qui fait mousser quelques politicards, mais combien de Français ont une vraie vie culturelle, c'est-à-dire des connaissances, du goût, un sens critique ? La vie de l'esprit est par essence élitiste.

Pour ma part, je n'ai aucun goût en matière musicale ; cependant j'ai encore assez de bon sens et de respect pour la musique pour détester cette orgie de décibels obligatoire qu'on appelle par antiphrase "Fête de la musique". Je me suis fait une raison : je n'ai pas de culture musicale, celle-ci est réservée à une élite dont je ne fais pas partie. Je n'en souffre pas : les hommes ne sont pas égaux en tout et c'est très bien ainsi, j'ai de la culture dans d'autres domaines.

L'art est une question individuelle, ce n'est pas par hasard que l'antique expression est "arts libéraux". Mais j'ai crains que, dans la France de 2006, où les gauchistes ont réussi à imposer leur vulgate collectiviste et égalitariste au sein même de l'éducation nationale, au prix de la destruction de celle-ci, les esprits soient de moins en moins capables d'entendre ces vérités de bon sens.

J'ai beaucoup apprécié cet ouvrage, car, comme tous les livres qui nous parlent, il réveille une sensibilité enfouie : je tiens la vie de l'esprit pour essentielle et je suis troublé, dérangé, par le tapage médiatique orchestré par le ministère dit de la culture, qui est en réalité une annexe du ministère du tourisme, là où devrait y avoir silence, contemplation, réflexion.

Or, ce livre attaque l'Etat culturel, non dans ses modalités, mais dans son essence même.

Espérons que les Français, reprenant confiance en leurs propres ressources, comprendront à quel point l'Etat est nocif dans le domaine de la culture.

Cela ne pourra se faire qu'avec des Française correctement formés à la culture, donc par l'école.

On en revient toujours à mon obsession : le problème de la France est l'Etat, maternant, obèse, envahissant, incompétent et impuissant, et, au sein de l'Etat, il n'y a pas de problèmes plus graves que ceux d'éducation et d'instruction.

Heureusement, le secret d'une instruction publique efficace n'est pas perdu par tous : une ville a reconstitué une école-musée du début du siècle. Des professeurs des vraies écoles du coin viennent en consulter discrétement les manuels pour s'en inspirer !

(1) : autre exemple, l'Etat se mêle des décisions d'entreprises sous le prétexte de "patriotisme économique" mais néglige complètement l'efficacité de l'administration qui permettrait à l'économie d'en avoir pour son argent, celui des impôts.

(2) inutile d'insister sur le fait que seul "anti-libéralisme" cohérent, c'est la le contôle de l'individu par l'Etat, autrement dit le totalitarisme.

(3) : on retrouve ce trait qui trahit infailliblement tous les anti-libéralismes : "l'avant-garde éclairée"

7 commentaires:

  1. Sujet intéressant et finalement complexe bienque paraissant léger dans le domaine politique ... Independamment du fait de savoir si le soutien culturel de l'Etat, élève, entretient ou au contraire étouffe la culture populaire (il faudrait faires des statistiques suivant les pays), je souligne surtout que la culture permet honteusement la démagogie au parti qui s'en sert. Finalement peut-être Mitterand a-t-il été réelu en 88 grâce à la culture et au capital de sympathie acquis ...? Par dépit de pratiquer une économie d'extrême gauche à partir de 83, les dirigeants socialistes ne se seraient-ils pas rabattu sur des domaines légers mais au combien vendeur, comme la culture ?? Heureusement ce temps est passé car incarné par Mitterrand (Lang n'était et n'est qu'un pantin ... quoique les sondages sont assez effarants), et la culture a l'avantage d'être a-politique, puisque dépendante des personnalités (Mitterand était cultivé, s'intéressait et savait faire passer son gout pour la culture ... rigolo d'ailleurs de voir Chirac tenter de suivre le sillon avec ses arts premiers ... que je respecte cependant). Ainsi la culture n'est plus depuis longtemps l'apanage de la gauche. Lang n'est que le vestige d'un temps passé en France ...

    Bien, mais mis à part cette analyse, je soutiens personnellement la fête de la musique que je trouve une bonne invention, et la musique (moderne) est le premier art auquel je m'intéresse (avant le cinéma et la littérature) ...

    Mais c'est un sujet intéressant et cela donne en effet envie de lire le livre ...


    ps: je dis démagogie, mais c'est du populisme agravé, que de se servir de la culture comme d'un outil marketing, de propagande pour les élections ... Rien que pour cette raison, le ministère de la culture pourrait être supprimé je vous l'accorde ...
    Sans pour autant supprimer toutes les subventions culturelles, dont certaines peuvent être nécessaires ... mais c'est un débat ...

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  2. A Copeau : oui

    A Nathan :

    "La culture est apolitique" Non : le fait même que l'Etat estime devoir s'occuper de culture est un choix politique.

    Ensuite, l'Etat étant ce qu'il est, il ne peut promouvoir qu'un certain type de "culture" : consumériste, de masse, faussement avant-gardiste ...

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  3. A Nathan :
    Moi aussi, de temps à autres, j'aimme bien la fête de la musique.
    Je me balade dans les rues de Paris, à la recherche d'un concert classique, d'un groupe original, d'une fête qui rende mes oreilles joyeuses...
    Et puis survient, inévitablement, le moment où mes tympans explosent et là, je me demande de quel droit un ministre décide que tous les ans, des gens ne pourront pas décemment vivre chez eux, et ce, dans les quartiers les plus chers de la capitale.
    Là, je me dis qu'il y aurait matière à demander des dommages et intérêts à... l'état.

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  4. Désolé, je précise le "a-politique" je voulais dire que la culture est impartiale, ni de droite ni de gauche, contrairement au social qu'on dira (faussement) plus de gauche par exemple ...

    A Dom P : soit, j'admet les nuisances sonores que peut provoquer la fête de la musique. Maintenant si ce n'est que cela je vous demande de comparer au 14 juillet et ses feux d'artifices libres ..? Vous me direz que ça n'a rien à voir, c'est une fête nationale, mais par rapport aux nuisances sonores, vous supportez ou pas ?

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  5. En fait, lors du 14 juillet, si mon voisin génère 100 db, j'appèle les flics. Ils viennent ou ne viennent pas, ceci dit...
    Le 14 juillet n'est pas une autorisation à faire tout péter toute la nuit.
    La fête de la musique, si.

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  6. Alors admettons que la fête de la musique soit un évènement un peu anarchique ... c'est un euphémisme et peut être surtout à Paris ! :) Elle pourrait sans doute être un peu réglementée ...
    Mais de mon point de vue, la pratique musicale est ce qu'il y a de mieux pour les jeunes, mieux que le sport, les jeux video, ou même toute activité intellectuelle (que je ne dénigre pas évidemment)
    ... c'est constructif, ça se pratique seul ou en groupe, ça ouvre à l'art au monde et aux autres ... Et en cela la fête de la musique permet, un partage, une exposition, assez difficile sinon, hors structures spécialisée et souvent subventionnées ! ... Et oui souvent subventionnées les structures ! Donc monsieur Boizard vous vous contredisez presque en critiquant à la fois les subventions et à la fois la fête de la musique qui certes anarchique (libérale ?), n'est pas subventionnée par l'état !! :)

    Mais bon ce n'est pas le sujet il me semble ...

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  7. Pas subventionnée, la fête dela musique? Vous rigolez?
    De très nombreuses manifestations sont suventionnées par les régions.
    Cela étant, ce n'est pas parce qu'on n'aime pas les subventions qu'on aime forcément toute activité non subventionnée.

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