dimanche, juin 11, 2006

Contre le principe de précaution

Je ne serai pas étonné si, dans quelques générations, on en vient à considérer l'adoption généralisé du principe de précaution comme un des pires crimes de notre époque qui en compte beaucoup. On y verra peut-être aussi le symbole du retour de l'obscurantisme.

A moins que, rendus à une époque où le monde sera gouverné par l'Asie, les savants ne considèrent rétrospectivement cela comme un des signes les plus nets de la décadence intellectuelle et morale de l'Occident.

En effet, notre système de droit est notre grande particularité et notre atout, le dynamiter soi-même n'est ce pas suicide et décadence ?

Le principe de précaution : la fin du règne du droit

Ecrit par Henri Lepage

"La civilisation passe par des prises de risque "raisonnées", encadrées par un droit de la responsabilité dont le rôle est d'inciter les gens à faire preuve d'une vertu de comportement qui s'appelle "la prudence". Avec le principe de précaution on va bien au delà de cette simple "prudence" puisqu'il aboutit à poser comme règle que là où existe le moindre doute - ou, tout au moins, là où l'on n'a pas encore démontré qu'il n'existe avec certitude pas de doute - il faut s'abstenir d'agir."

La crise de la vache folle a posé deux problèmes qu'il convient de bien distinguer. Le premier est celui, technique et politique, d'un risque possible d'épidémie future et de ce qu'il convient de faire. Fallait-il interdire les farines animales ? Faut-il abattre toutes les bêtes des troupeaux où l'on a identifié la présence d'un animal malade ? Après tout, si l'on considère qu'il y a un réel danger, peut-être est-il "prudent" de prendre ce genre de décision. La prévention des épidémies relevant de la compétence traditionnelle des Etats, on ne peut leur reprocher de se mêler de prendre de telles décisions. On peut en discuter le contenu. Proposer une autre politique.Mais on ne peut leur reprocher de rester dans leur rôle.

Le second problème concerne l'argument utilisé par le pouvoir politique pour justifier son action. Les pouvoirs publics se réfugient derrière le "principe de précaution". C'est là que le bât blesse. Ce faisant ils contribuent à ancrer au cœur de notre système de droit un concept qui représente une véritable bombe juridique. C'est cela qui, est important et qu'il faut en priorité faire apparaître. A côté, tout le reste n'est que détail.

Le "principe de précaution", loin de n'être qu'un principe philosophique, est déjà entré dans notre droit. Il fait déjà partie du droit communautaire. Il est en train de devenir un principe de droit à part entière. Mais, que dit-il exactement ? Un brin d'histoire est nécessaire.

Le concept est indissociable du nom d'un intellectuel allemand, Hans Jonas, un professeur de philosophie qui s'est exilé en 1933 pour enseigner ensuite à Jérusalem, au Canada, à New York, puis finalement à Munich. Auteur d'une thèse de doctorat sur la Gnose, il est principalement connu pour avoir publié en 1979 un livre intitulé "Le Principe Responsabilité". C'est cet ouvrage qui pose les fondements philosophiques et éthiques de ce qui, depuis, est devenu le "principe de précaution".

Partant du constat que les nouvelles technologies font apparaître de nouveaux risques qui mettent en cause la survie même de l'homme, Hans Jonas en déduit que les hommes d'aujourd'hui sont redevables vis à vis des générations futures d'une nouvelle obligation morale : celle de tout faire pour assurer la survie de l'humanité future. Ainsi conçu, "Le Principe Responsabilité" revient à admettre que les générations qui nous succèderont ont des droits sur nous, et qu'en conséquence nous avons une "responsabilité collective" à leur égard ; responsabilité qui ne peut être organisée et exercée que par l'intervention réglementaire de l'Etat (puisque les propriétaires de ces nouveaux "droits" n'étant pas encore nés il leur est par définition impossible de venir les défendre devant des tribunaux).

Ce livre se présente avant tout comme une critique du rationalisme et de l'attitude scientifique en général. Il est fondé sur l'idée que, dans le monde technicien d'aujourd'hui, l'irréversibilité des actions humaines est telle qu'elle mène l'humanité dans une impasse. Hans Jonas y souligne sans arrêt les dangers qui résultent du développement de la technique. La nature y est considérée comme un véritable objet de réflexion éthique en soi, qui est externalisé et déifié. Pour échapper au monde apocalyptique auquel nous conduit l'actuel rationalisme scientifique hérité des lumières, la seule solution consisterait à abandonner la Raison et à revenir au sacré.

Ainsi que l'a souligné Gérard Bramoullé il s'agit d'une démarche profondément malthusienne, guidée par une conception animiste de la nature, et débouchant sur le retour à un obscurantisme élitiste plaçant l'humanité sous le contrôle fort peu démocratique d'êtres qui seraient en quelque sorte les nouveaux prêtres d'une écologie triomphante.

Les fondements du principe de précaution

La première apparition du "principe de précaution" dans notre édifice juridique date de la loi Barnier du 2 février 1995, sur l'environnement. Les travaux préparatoires en donnent la définition suivante :

"le principe de précaution est le principe selon lequel l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques du moment, ne doit pas empêcher l'adoption de mesures proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement, à un coût économique acceptable".

Autrement dit, ce n'est pas parce que les scientifiques continuent de débattre de la présence possible d'un danger menaçant les conditions de vie sur la planète (comme le réchauffement de l'atmosphère du fait des activités humaines) que les responsables politiques doivent s'abstenir d'agir.

On peut contester la réalité de l'effet de serre. C'est ce que continuent de penser les savants qui, en 1992, à l'initiative de Fred Singer, ont signé l'appel d'Heidelberg. On peut aussi, tout en admettant l'existence du phénomène, considérer que chercher à en contrôler préventivement les effets n'est pas la meilleure stratégie de réponse possible. Il n'en reste pas moins qu'ainsi rédigé, le principe de précaution reste prudent et d'effet limité. Il ne concerne que l'environnement, et est soumis à des bornes telles qu'"un coùt économique acceptable", "des mesures proportionnées", "compte tenu des connaissances scientifiques du moment".

Mais cette modération n'a pas tenu longtemps. L'une après l'autre, ces précautions de style ont sauté. L'affaire du sang contaminé, l'inquiétude et l'indignation qu'elle a suscité dans l'opinion publique, y furent sans doute pour beaucoup. En moins de cinq ans le champ d'application du principe s'est considérablement élargi, au point d'envahir tout le champ de la vie collective et des interactions humaines. C'est ainsi que dans leur rapport remis au Premier Ministre Lionel Jospin en 1999, Philippe Kourilsky et Geneviève Viney expliquent que :

"le principe de précaution doit s'imposer à tous les décideurs, à toute personne qui a le pouvoir de mener une activité susceptible de déclencher un risque pour autrui".

Autrement dit, le champ d'application du principe de précaution s'étend désormais "à toute décision susceptible de provoquer un risque", quel que soit le domaine d'intervention - par exemple la santé ou la sécurité sanitaire.

C'est ce qui s'est passé au niveau européen. En 1998 les décisions prises au niveau communautaire pour interdire les importations de bœuf anglais s'appuient explicitement sur la prise en considération du principe de précaution. La Cour de Justice européenne, dans l'arrêt qu'elle a ensuite rendu pour débouter les autorités britanniques de leur recours, utilise très directement le terme. De son côté, la DG 24 de la Commission a diffusé des recommandations générales à l'ensemble des administrations publiques des états-membres de l'Union Européenne qui demandent l'application systématique du principe de précaution.

Il est vrai que le Traité d'Amsterdam n'envisage l'application du principe de précaution qu'aux "politiques d'environnement". Mais au mois de mars dernier, dans une affaire de maïs transgénique, la Cour de Justice européenne a rendu un arrêt (dit "arrêt Maïs-Novartis") dont l'effet est d'inscrire le principe de précaution au rang des grands principes généraux du droit communautaire. Le principe de précaution est entré dans le vocabulaire des juges. Il est devenu un principe de droit auquel les juges se croient désormais tenus de faire référence.

On se plaint souvent de la difficulté que les idées ont à se diffuser. A l'évidence, le principe de précaution n'a pas rencontré les mêmes obstacles. Encore simple élucubration philosophique au moment de la parution de l'ouvrage de Hans Jonas en 1979, il s'inscrit désormais, moins de vingt ans plus tard, dans l'ordre normal du droit. Dans l'histoire du droit - où la norme de temps est plutôt le siècle - peu de concepts philosophiques ont trouvé aussi rapidement leur traduction juridique.

Un alibi protectionniste ?

Dennis Avery, Directeur du Center for Global Food Issues, qui dépend du Hudson Institute (fondé par Herman Kahn) n'a pas de mots trop durs pour dénoncer l'effet de mode dont le principe de précaution bénéficie de ce côté-ci de l'Atlantique. Comme la plupart de ses collègues anglo-saxons, il l'attaque par le biais de ses conséquences. Il y voit l'instrument du retour à des pratiques protectionnistes déguisées sous des prétextes de sécurité sanitaire ou alimentaire.

A plusieurs reprises, accuse-t-il, l'Union européenne a déjà utilisé le principe selon lequel il serait légitime d'imposer des restrictions à l'entrée de technologies susceptibles de déclencher un risque, même en l'absence de preuves scientifiques démontrant la présence d'un réel danger, pour empêcher des importations de produits américains. La première fois, ce fût en 1985, lors de l'affaire du bœuf aux hormones ( interdit bien que les enquêtes scientifiques menées par les services de la Commission n'aient jamais établi que les trois hormones naturelles visées aient jamais représenté une menace pour des vies humaines). L'an dernier, cédant au harcèlement médiatique de Greenpeace, la Commission Européenne a provisoirement interdit la commercialisation de certains jouets et articles pour enfants en plastique mou, au prétexte qu'il serait dangereux pour leur santé de les sucer. La décision de pérenniser cette interdiction devrait être prochainement prise, bien que tous les membres de la commission scientifique chargée d'instruire le dossier - sauf deux - aient reconnu qu'en 40 ans d'existence de ce type de produit il n'y ait jamais eu la moindre preuve d'effet nocif. Les autorités de Bruxelles ont interprété le principe de précaution au sens strict : ce qui subsistait de doute dans l'esprit de deux membres très minoritaires de la commission a eu plus de poids que la conviction de tous leurs collègues réunis. Une telle attitude, notent les américains, ouvre la porte à toutes les manipulations, même les plus sordides. A la limite, il suffit qu'une rumeur venue d'on ne sait ni où ni comment, mais savamment orchestrée, trouble ne serait-ce que l'espace d'un moment l'esprit d'un seul expert, pour qu'un produit dont tous les tests ont établi jusqu'à présent la totale inocuité fasse l'objet d'une interdiction administrative. C'est comme cela qu'aux temps de l'Inquisition on faisait la chasse et on brûlait les sorcières. Quelle peut être la valeur d'un principe de droit autorisant - ne serait-ce que de manière potentielle - de telles pratiques ?

C'est la raison pour laquelle les américains ont été particulièrement irrités lorsque les européens ont obtenu de l'OMC, au début de cette année, que le protocole, qui réglemente le commerce des organismes génétiquement modifiés (OGM), prenne en compte l'application du principe de précaution pour justifier qu'un pays mette en place des entraves au commerce de certains produits. Il est désormais inscrit dans les textes que :

"l'absence de certitude scientifique due à l'insuffisance des informations et connaissances scientifiques pertinentes (ne doit pas empêcher un pays) de prendre une décision concernant l'importation, pour éviter ou réduire au minimum ces effets défavorables potentiels".

Déjà, l'accord sur l'application des mesures sanitaires et phytosanitaires (dit accord SPS), conclu dans le cadre du cycle de l'Uruguay Round, prévoit que des restrictions au commerce peuvent être instituées provisoirement pour prévenir un risque, même s'il n'existe pas encore "de preuves scientifiques pertinentes". En avril dernier, à Paris, un projet de l'Union européenne visait à faire admettre le principe de précaution au rang de principe général gouvernant les activités du Codex - cette organisation multilatérale, placée sous l'égide de la FAO et l'OMS, qui élabore les normes internationales en matière de sécurité alimentaire. Mais cette fois-ci, en raison des fortes réticences des Etats-Unis, le débat a été reporté à plus tard.

Il est vrai que la Commission européenne entoure la possibilité d'y recourir d'un certain nombre de précautions. Le 2 février, elle a adopté une communication sur le recours au principe de précaution où il est expliqué que, si des mesures sont prises, celles-ci doivent être "proportionnées", "ne pas introduire de discrimination", et être rééxaminées à la lumière de toutes les nouvelles données scientifiques disponibles. Mais on a vu ce qu'il est advenu des garde fou qui entouraient la rédaction du principe de précaution tel qu'il fut défini en 1995 par la loi Barnier.

Une mise en oeuvre nécessairement asymétrique

En matière de droit, les conditions et capacités de mise en œuvre d'un principe juridique sont bien souvent plus importantes que le principe lui-même et les bonnes intentions qui en inspirent la rédaction. C'est précisément ce qui se passe avec le principe de précaution. Si l'objectif recherché est parfaitement louable (un niveau élevé de protection), il n'empêche que, par définition, la mise en œuvre du principe de précaution ne peut être qu'asymétrique.

Interdire la vente d'un produit parce qu'on n'a pas la certitude absolue qu'il ne fait courir à personne de risques potentiels comporte également des risques : notamment le risque que les consommateurs se tournent vers d'autres produits qui ne présentent pas le même degré de fiabilité, mais qui, eux, ne sont pas visés par l'action des organisations qui cherchent à établir leur influence et leur pouvoir en ciblant une cause médiatique particulière. En effet, la carrière des fonctionnaires en charge du dossier - leur capacité à bien faire le boulot pour lequel ils sont payés - ne sera pas évaluée sur la base d'une évaluation raisonnée des risques relatifs présentés par les solutions alternatives, mais seulement en fonction de leur capacité à démontrer qu'ils n'ont négligé aucun des risques possibles associés à l'usage du produit concerné. Le système ne peut fonctionner qu'à charge, jamais à décharge car, tel qu'il est rédigé, le principe ne peut, par construction, s'accomoder que d'accusateurs, jamais d'avocats ! Que penserait-on d'un régime pénal qui fonctionnerait sur ces bases ? On dirait qu'il a tout d'un régime... soviétique ! Et l'on aurait raison.

L'idée que la généralisation du principe de précaution est en soi une menace pour le maintien du libre échange n'est donc pas une fantaisie. De par sa construction il ne peut qu'introduire dans la pratique un biais renforçant les tentations protectionnistes toujours latentes dans certains pays d'Europe. Le fait qu'on reconnaisse qu'il s'agisse d'un concept à utiliser "avec prudence" n'y change intrinsèquement rien.

Ce qui précède nous ramène directement au grand sujet de préoccupation des critiques anglo-saxonnes dès lors qu'il s'agit du principe de précaution : ses conséquences malthusiennes.

Julian Morris, de l'Institute of Economic Affaires, dans un livre qui vient tout juste de sortir, écrit :

"Le principe de précaution n'est qu'un alibi conceptuel commode utilisé par le mouvement écologique et les grandes organisations de consommateurs adversaires de la mondialisation des marchés, pour s'opposer à la diffusion de technologies qu'ils n'aiment pas. Ce faisant, ils prennent le risque de geler le progrès technique et donc, en conséquence, de prolonger bien des souffrances humaines" (qu'ils sont généralement les premiers à dénoncer au nom même de la justice, et auxquelles la dynamique du progrès aurait progressivement apporté les moyens de porter remède).

Pour Julian Morris, imaginer qu'il suffise de s'abtenir d'agir pour éviter toute prise de risque - ce qui est en définitive bien l'essence du principe de précaution : "n'agis pas tant que le dernier savant à douter ne t'a pas confirmé qu'il n'y a aucun risque !" - relève de l'absurdité mentale, puisque ne pas agir conduit en réalité à prendre d'autres risques.

Les OGM en sont un bon exemple. Il est vrai que ces recherches comportent certains risques.

Par exemple de dissémination accidentelle de facteurs génétiques susceptibles de répandre de nouvelles maladies inconnues (mais la plupart des savants reconnaissent que ces risques sont insignifiants au regard de ceux bien plus grands que l'humanité a sans doute pris dans le passé en se fiant au seules techniques très frustres de l'hybridation des plantes). Le risque est aussi que certaines espèces se trouvent menacées de disparition du fait de l'utilisation intensive de ces produits (la fameuse affaire des papillons !). Mais en contrepartie il y a tous les gains dont la planète tirera profit du fait de la plus grande adaptation des plantes de culture à la diversité des sols et des conditions climatiques, et donc de l'accroissement des rendements. Par ailleurs, avec de meilleurs rendements dans tous les coins de la planète, il ne sera plus besoin de continuer à défricher autant d'espace pour satisfaire aux besoins alimentaires créés par l'accroissement de la population mondiale. Les amoureux de la nature devraient s'en féliciter : grâce aux OGM la Terre reverdira ! Mais non, leurs organisations n'en sont pas à une contradiction près. Interdire les OGM, c'est prendre le risque de maintenir les nations du tiers-monde dans leur pauvreté.

C'est empêcher leurs populations d'accéder à des régimes alimentaires plus riches et plus évolués. C'est, en définitive, comme dans le malheureux exemple du DDT, prendre le risque d'écourter la vie de millions de personnes dont nous savons qu'elles devraient, dans les dix ou vingt années à venir, avoir la chance d'accéder à un sort meilleur gràce aux innovations actuellement en cours de développement. N'est-ce pas là un bel exemple d'égoisme de nantis ?

Les économistes et savants des grandes nations du tiers-monde (Inde, Egypte...) ne s'y sont pas trompés qui s'opposent résolument à l'idée d'un moratoire des OGM dont leurs populations seraient les première victimes.

Autrement dit, insiste Julian Morris, le principe de précaution est un concept profondément pervers :
" S'il était appliqué de manière généralisée, sa conséquence serait exactement l'inverse de ce qui est recherché : un accroissement des risques et des incertitudes auxquels les gens ordinaires ont à faire face dans la vie de tous les jours. En nous empêchant de recourir à des technologies nouvelles et plus sûres, l'application du principe de précaution réduira notre capacité de réponse aux risques qui nous entourent déjà, il nous rendra la vie encore plus compliquée et incertaine, et nous privera des moyens de nous adapter et de réagir aux nouveaux risques et défis susceptibles d'apparaître demain".

Sans prise de risque, plus de progrès, plus de civilisation

On retrouve le grand thème que développe, à forces conférences, Fred Smith, le fondateur du Competitive Enterprise Institute, le dénonciateur sans doute le plus acharné de l'escroquerie verte :

"C'est en prenant des risques que l'on progresse dans l'élimination (et la réduction) des risques - pas autrement !".

Pour l'illuster, Fred Smith ne manque jamais une occasion de revenir sur son fameux exemple du Mythe de Prométhée. Si l'Homme avait dû réfléchir aux risques qu'il prenait en domestiquant le feu ( le risque de se brûler, de mettre le feu à sa cabane, de mourir asphyxié...), et s'il avait appliqué le principe de précaution dans les conditions dans lesquelles il est actuellement préconisé, nous en serions toujours à l'âge de pierre. Le progrès implique l'expérimentation, donc le risque de se tromper. Si l'on élimine toute prise de risque, il n'y a plus de progrès, et plus de civilisation. Le principe de précaution est donc absurde dans son essence même.

La civilisation passe par des prises de risque "raisonnées", encadrées par un droit de la responsabilité dont le rôle est d'inciter les gens à faire preuve d'une vertu de comportement qui s'appelle "la prudence". Avec le principe de précaution on va bien au delà de cette simple "prudence" puisqu'il aboutit à poser comme règle que là où existe le moindre doute - ou, tout au moins, là où l'on n'a pas encore démontré qu'il n'existe avec certitude pas de doute - il faut s'abstenir d'agir.

Appliquée à la lettre une telle attitude nous prive des moyens de continuer à progresser dans la réduction des risques. L'adoption du principe de précaution change notre façon d'aborder l'avenir. Au lieu d'être spontanément ouverts à l'exploration de l'avenir, elle nous enferme dans l'immobilisme. Est-ce cela qui est recherché ?

Par définition, nous vivons malheureusement dans un univers imparfait où nous commettons tous des erreurs. En matière de technologie et d'expérimentation, il y a deux types d'erreurs possibles : 1. le risque de laisser passer trop de mauvais produits (aller trop vite) ; 2. le risque d'arrêter le progrès en étant trop rigoureux, trop exigeant, trop conservateur (aller trop lentement).

Ces deux risques comportent des coûts humains et sociaux. Pour le premier, rappelons-nous le précédent de la thalydomide et des bébés mal formés. Pour illustrer le second, on pourrait prendre l'exemple de tous les malades décédés du fait des lenteurs ou des réticences des administrations à autoriser la mise en marché, ou même tout simplement l'expérimentation de nouveaux médicaments. Le fait d'aller trop vite est la cause d'accidents non prévus. Mais aller trop lentement implique que des gens ne sont pas soignés qui auraient pu l'être, ou encore que des problèmes restent sans solution alors que des progrès pouvaient être faits qui auraient apporté les moyens de leur solution.

La bonne technique de contrôle est celle qui, consciente de ces deux options, établit un équilibre en fonction d'un choix argumenté et raisonné. C'est la situation vers laquelle tend naturellement le marché du fait des contraintes qui s'y exercent. L'entreprise est un lieu où existe en permanence une tension interne entre la crainte de voir sa responsabilité - et donc sa réputation - mise en jeu, et l'impératif d'innover pour survivre. Le principe de précaution, en revanche, est totalement asymétrique : il n'admet l'expérimentation qu'à la condition qu'on garantisse qu'il n'y aura pas d'échec possible. Ce qui est totalement absurde, car l'expérimentation, l'essai impliquent nécessairement qu'un risque d'échec soit pris.

Aaron Wildavsky, l'auteur d'un des meilleurs ouvrages qui aient jamais été écris sur le risque ( "In Search of Safety") avait l'habitude de rappeler que c'est en avançant vers l'avenir que l'on apprend à le maîtriser. De temps en temps, expliquait-il, on découvre que l'on n'aurait pas dû y aller. Ou encore on se rend compte qu'on aurait dû y aller d'une manière différente. Mais on n'apprend qu'en faisant.

Par construction, le principe de précaution implique l'hypothèse qu'il serait possible d'apprendre et de découvrir sans courir de risque d'échec. Ce qui n'a pas de sens. Vu que l'essai sans risque est impossible, fonder une politique sur le respect strict du principe de précaution ne peut garantir qu'un seul résultat : qu'il n'y aura plus jamais d'essais. Pour Fred Smith il ne fait aucun doute que Malthus est de retour ! Le choix implicite est celui de l'ignorance, de la pauvreté, et donc de la mort.

Une perversion du droit de la responsabilité

La critique est juste. Malheureusement son efficacité se trouve fortement limitée par le phénomène de dissonance cognitive qui caractérise les opinions publiques contemporaines dès qu'il est question de politique et de choix collectifs. Il faut donc aller encore plus loin, frapper encore plus fort, montrer que le principe de précaution n'est qu'un de ces nombreux anti-concepts dont la prolifération traduit un déréglement général - mais non gratuit - de l'intelligence. Pour croire à la validité d'une telle notion il faut vraiment avoir cessé de croire à l'existence de toute raison.

Il s'agit d' un concept qui traduit un processus de subversion tel du langage et de la pratique juridique que ce sont les fondements même de notre société de droit qui sont en jeu (sans que les gens en aient vraiment conscience).

Avec le principe de précaution nous arrivons au point d'orgue d'un processus engagé depuis le début du XXème siècle qui conduit à pervertir et inverser peu à peu le sens de tous les concepts les plus fondamentaux associés à une société de liberté. Le socialisme a changé la nature du concept d'égalité. Les marxistes ont retourné le sens du mot liberté. Le positivisme juridique a tellement élargi le domaine des "droits fondamentaux " que l'expression est aujourd'hui vidée de tout véritable contenu ( les "droits" ne sont plus que l'expression de désirs subjectifs faisant l'objet d'une apparente demande majoritaire). Il est normal que ce soit au tour du concept de "responsabilité" de subir à son tour une évolution de même type.

L'évolution est certes en cours depuis déjà pas mal de temps avec la tendance du droit de la responsabilité civile à céder la place à la notion de "responsabilité objective" : c'est à dire l'abandon de la faute comme critère d'incrimination (cf par exemple l'évolution de la législation qui concerne la responsabilité du producteur pour les risques inhérents aux produits vendus, la responsabilité concernant le transports des produits toxiques, la pollution des nappes d'eaux souterraines...). Il y a dix ans, Baudoin Bouckaert a écrit un remarquable article . Il y montre comment la tendance contemporaine est de faire que c'est l'Etat lui-même qui, de plus en plus, par la loi ou le règlement, détermine a priori qui devra payer en cas d'accident portant dommage à des tiers, et cela indépendamment de savoir si celui dont on fait ainsi jouer la responsabilité civile a bien pris toutes les précautions possibles, s'il a agi avec prudence ou non, et donc s'il a commis ou non une faute. L'affaire de l'Erika en est un bel exemple puisque le cœur du problème se trouve dans la ratification du protocole de 1992 qui a redistribué d'autorité les responsabilités entre les différentes parties prenantes possibles lorsqu'il y a naufrage. Les habitants du petit village de Bretagne qui vient d'être débouté alors qu'il demandait à Elf de lui rembouser ses frais de nettoyage ont raison de se dire scandalisés par cette décision. Mais le juge n'a fait qu'appliquer la loi telle qu'elle a été refaite par les pouvoirs publics (et non "le droit"). Leurs protestations traduisent les contradictions et le malaise inévitables auxquels conduisent une telle approche du droit.

Bouckaert démontre les conséquences d'une telle évolution. Tout accident est la conséquence d'une chaîne de causalités qui, à la limite, peut être presque infinie. "Chaque accident, écrit-il, est le produit d'une chaîne causale qu'on peut reconstituer, si on veut, jusqu'au "big bang" qui a donné naissance à notre univers". Si un gosse, un jour de 14 Juillet, fait éclater un pétard qui met le feu à la grange du maire, pourquoi ne pas remonter jusqu'au Chinois qui a inventé la poudre il y a plus d'un milliers d'année ? N'est--ce pas à cause de son invention qu'un tel événement a pu se produire ? Pour que la responsabilité soit un concept utile, il faut interrompre la chaîne des causalités quelque part, et disposer pour cela d'un critère. Dans la tradition occidentale du droit, ce critère est celui de la faute - que celle-ci soit appréciée en fonction d'attributs objectifs comme "l'invasion de propriété" (l'emissio romain), ou qu'elle résulte d'une évaluation subjective des faits de nature jurisprudentielle. "La théorie de la faute, précise Baudoin Bouckaert, permet de s'arrêter à un maillon de la chaîne, en donnant à ce maillon une signification morale. La faute est dès lors considérée du point de vue juridique comme la fin de la chaîne. Toutes les causes précédentes sont alors effacées et deviennent invalides".

Bouckaert décrit ce qui se passe lorsqu'on élimine la faute comme condition de responsabilité. "Tous les maillons de la chaîne reçoivent la même qualification morale". Pourquoi s'arrêter là plutôt qu'ailleurs ? Pourquoi s'en tenir au gosse et ne pas condamner l'inventeur chinois ? Pourquoi pas le maire qui a "omis" d'interdire les pétards à moins de 50 mètres de toute habitation ? Pourquoi pas 500 mètres ? (Ce serait encore plus sûr). Pourquoi ne pas les interdire totalement ? Dès lors qu'il manque ce critère moral, il n'y a plus qu'une solution : c'est au législateur qu'il appartient de choisir, et de décider sur les épaules de qui retombera le devoir de responsabilité. Le législateur devient celui qui distribue le risque par décret. On passe dans un nouveau type de régime juridique où "une certaine activité se trouve légalement qualifiée comme risquée et un certain acteur dans le déroulement de cette activité est purement et simplement désigné comme l'auteur du risque, et donc comme coupable, chaque fois que l'accident se réalise". La responsabilité ne devient plus qu'un terme générique pour toutes sortes de distributions de risque imposées par les autorités politiques.

Une telle évolution est profondément dommageable. Pour deux raisons. La première tient à ce qu'elle introduit dans le domaine de la responsabilité civile un élément inévitable d'instabilité, contraire à la tradition du droit, et à la fonction même du droit. Si c'est le législateur qui décide de la répartition des risques, ce qu'une législature fait, pourquoi la prochaine ne le déferait-elle pas, si la majorité des citoyens ont entretemps changé d'avis ? Si l'instabilité de la législation économique, avec l'incertitude qu'elle crée, est déjà quelque chose que l'on peut regretter (ça n'aide pas à attirer les investisseurs étrangers), que dire dès lors que cette incertitude s'étend à un domaine aussi essentiel à l'organisation pacifique des rapports humains que la responsabilité juridique ?

La seconde raison est tout simplement que le choix du législateur ne peut qu'être arbitraire (puisqu'il n'y a plus l'élément "moral" qui permet de faire le tri entre les différents niveaux de causalité possible). L'attribution du risque va se faire en fonction de critères "politiques" dominés par des processus de lobbying. Le fait que celui-ci plutôt que tel autre soit désigné comme "responsable" - du moins aux yeux de la loi - sera d'abord et avant tout le reflet d'un rapport de force politique.

On deviendra "responsable" non pas en fonction d'une conception morale fondée sur des valeurs universelles ayant subi le test d'une longue histoire philosophique et jurisprudentielle, mais parce qu'on se trouve, à une certaine époque, dans des circonstances que l'on ne contrôle pas, plutôt du mauvais côté du manche. Question de malchance ! Et si c'est de la malchance, la responsabilité est donc quelque chose sur laquelle, à l'envers de toute la tradition philosophique et juridique sur laquelle s'est fondé le développement de l'Occident, je ne peux avoir aucune influence. Je dois m'y soumettre comme à toute fatalité. C'est quelque chose qui m'échappe, qui m'est totalement extérieur. Voilà revenu le "fatum" de l'Antiquité ! Exit l'idée même de "responsabilité individuelle", l'idée que les hommes conservent une certaine part de contrôle sur leur destinée, que l'exercise de leur "responsabilité civile" est précisément l'un des éléments les plus importants de ce contrôle moral sur leur vie.

On passe dans un autre univers. Un univers qui conduit directement à une pratique de la responsabilité conçue comme un instrument mécanique de contrôle social : il s'agit de susciter chez l'individu les bons stimuli - comme pour les souris de laboratoire -, de manière à lui inculquer les bons réflexes, ceux qui sont nécessaires à la réalisation des plans formés par le législateur. Le communisme a vécu, mais le socialisme, lui, est loin d'être mort ! Avec une telle évolution du droit il s'installe plus que jamais au fond même de nos esprits.

Une troisième conséquence du passage à une conception "objective" de la responsabilité est - en conformité d'ailleurs avec la doctrine marxiste - d'instiller la discorde, le conflit au cœur même des rapports juridiques, alors qu'en toute logique la fonction du droit est au contraire d'être un facteur de concorde. C'est la raison pour laquelle les juristes - du moins les bons, les vrais - insistent sur l'exigence de stabilité des règles de droit. Dès lors que la décision du législateur de faire retomber le risque sur une catégorie particulière d'individus ne peut plus s'expliquer par référence à des valeurs morales stables, il est normal qu'elle soit ressentie comme arbitraire, et donc contestable par ceux-là même qui se sentent ainsi visés. Le droit perd sa fonction fondamentale de cohésion, pour devenir un instrument de politisation généralisée de la société.

Ce qui correspond d'ailleurs bien à la finalité de ceux qui se font les apôtres les plus ardents du principe de précaution : le "tout politique !".

Le point d'orgue d'une dégradation fondamentale du droit

C'est dans cette perspective de dégradation fondamentale du droit qu'il faut replacer le problème du principe de précaution. La dynamique a connu une forte accélération avec l'arrivée des socialistes au pouvoir en 1981 et l'esprit qu'ils ont introduit dans la rédaction des lois (rappelons-nous la loi Quillot par exemple ; la création des nouveaux mécanismes d'indemnisation des victimes d'accidents, etc). La juridicialisation du principe de précaution représente en quelque sorte l'achèvement, l'apothéose de cette dérive, son point d'orgue.
Pourquoi ? Comment ? de quelle manière ? Le premier point sur lequel il convient d'insister est l'inanité du concept de "responsabilité collective" dont découle le principe de précaution.

Par définition, le principe de précaution découle de la responsabilité que l'humanité présente aurait vis à vis des générations futures d'assurer qu'elle leur transmettra un monde encore vivable. L'idée est jolie, elle séduit. Mais ce ne sont que des mots. "Le Principe Responsabilité" relève du galimatia de philosophe en quête d'audience. Ce ne peut être un concept juridique, un concept fondateur de droit. Tout simplement parce que si les mots ont un sens, si les concepts ne sont pas des vases creux que l'on peut remplir avec n'importe quoi au gré des humeurs politiques de majorités changeantes, parler de "responsabilité collective" est une incohérence sémantique, c'est une contradiction dans les termes.

En raison même de la nécessité d'une "faute" comme condition nécessaire de déclenchement de la responsabilité, la notion même de responsabilité ne peut qu'être individuelle. La responsabilité ne peut être qu'un attribut de personnes dotées de conscience, et donc d'un sens moral. Or, sauf à être pleinement marxiste, au sens philosophique du terme, la notion de conscience - et donc de responsabilité - ne saurait s'appliquer à des entités collectives. Donc la formulation du principe de précaution est viciée à la base. On ne peut attendre d'une collectivité qu'elle soit dotée ni d'une conscience, ni d'un sens moral, autres que ceux attachés aux individus qui en font partie.

Certains diront que ce n'est qu'une question de définition. Que c'était peut-être ce qui se faisait autrefois. Mais qu'aujourd'hui tout est différent. Qu'après tout les mots n'ont que le sens qu'on y met, et que si, aujourd'hui, la majorité de nos concitoyens y mettent quelque chose de différent, eh bien il faut nous y soumettre. Fort bien. Mais alors il faut en accepter toutes les conséquences, admettre qu'on ne peut pas tenir ce discours et s'attacher autour du cou une étiquette "libérale" dans la mesure où l'adopter revient à se rendre complice d'un processus inévitable de subversion radicale des valeurs centrales d'une conception libérale des rapports en société.

Indépendamment de ce que le principe de précaution est un concept vicié à la base ( un "faux concept" comme dirait François Guillaumat), se pose également le problème de sa praticabilité ; des conséquences du passage à l'acte, de sa mise en application dans le cadre d'un système juridique concret. C'est ainsi que Gérard Bramoullé nous a rappelé que le principe de précaution aboutit à placer la notion de risque comme élément central de déclenchement d'une action juridique alors que, comme l'a alors souligné Georges Lane, la notion même de "risque objectif" n'existe pas.

On nous propose un système intellectuel qui nous donne une apparence réconfortante d'objectivité : il suffit d'évaluer, de mesurer les risques, et de comparer pour prendre des décisions. L'évaluation, la mesure, c'est le travail de la science, des savants. Puis, ensuite, viennent les politiques qui vont prendre la décision en fonction de ce que leurs diront les agences spécialement créées.

Une première difficulté vient de ce qu'adopter ce positionnement revient implicitement à faire des savants des sortes d'astrologues modernes à qui les dirigeants politiques demanderaient de rendre les oracles à la manière de l'antique Pythie d'Athènes. C'est une drôle de conception du rôle du politique, mais aussi de la science !

Mais le plus grave n'est pas là. Il est lié à ce que ce raisonnement confère au risque les attributs d'une grandeur susceptible de faire l'objet de mesures répondant à tous les critères d'objectivité qui sont aujourd'hui considérés comme l'apanage d'une démarche scientifique. Or, objecte avec raison Georges Lane, c'est loin d'être le cas. Ce n'est même pas du tout le cas. Le "risque objectif" n'existe pas. Ce qui existe, ce sont des espérances individuelles qui font que, ex ante, nous gérons nos actes en fonction d'anticipations de gains ou de pertes. Le risque n'apparaît qu'ex post lorsque nous essayons a posteriori de reconstituer les probabilités statistiques que nous avions de réaliser ou non nos espérances. Comme cette distinction subtile passe au-dessus de la tête de la plupart des gens, même des juges, faire du principe de précaution un critère de responsabilité conduit à confier aux tribunaux le soin de juger, ou de trancher les conflits en responsabilité, en fonction d'une information qui, par définition, n'existait pas au moment où les décisions qui ont déclenché le dommage étaient prises. Autrement dit, on va demander aux juges de vous sanctionner en décidant a posteriori de ce que vous auriez du faire (ou ne pas faire) en fonction d'un ensemble d'informations qui n'étaient pas disponibles au moment où vous aviez à prendre la décision. On entre dans un univers qu'il faut bien qualifier de délirant !

La tâche n'était déjà pas facile depuis qu'au milieu du 19 ème siècle, comme le raconte Baudoin Bouckaert, on avait abandonné la doctrine de l'emissio romain, et avec elle le critère de la propriété comme élément d'établissement de la preuve d'une faute. Mais désormais, c'est autrechose. Comment savoir quels éléments seront pris en compte par le tribunal ? Comment seront calculées les soi disantes probabilités "objectives" qui guideront sa décision et dont on assumera que vous auriez du en tenir compte dans l'élaboration de votre décision ?

Apparamment la démarche d'une cour de justice restera en principe la même : reconstituer l'univers de celui que l'on accuse au moment des faits afin de déterminer s'il y a eu faute de sa part. Mais au lieu de se référer à un élément stable et "objectif" - car faisant partie d'un corps de valeurs universelles reconnues par tous et dont l'usage a été poli par la jurisprudence : l'élément "moral" évoqué plus haut - , le débat sera désormais essentiellement informé par des arguments de type scientifique dont on sait, avec les querelles en cours autour de phénomènes comme l'effet de serre, à quel point ils sont souvent de nature contingente, et même politique, et sujets à fréquentes contestations et révisions.

Si l'on veut vraiment détruire la justice, il n'y a donc sans doute pas meilleure bombe ! On ne peut pas faire d'un concept aussi flou et aussi aisément manipulable la pierre de touche du régime juridique de demain. Sauf si le véritable objectif est de nous faire définitivement sauter le pas d'un autre ordre social. Pris au sérieux, le principe de précaution conduirait rien moins qu'à la négation pure et simple du libre arbitre individuel dans la mesure où ce n'est plus la conscience qui présidera à la prise de risque (l'information personnelle éclairée et tempérée par la concience), mais l'application de règles et de critères imposés en fonction de l'idée qu'une opinion dominante - médiatisée par ses prêtres - se fera de ce à quoi correspond le savoir scientifique du moment.

2 commentaires:

  1. Tout cela est fort interressant, mais placer l'oracle de la Pythie à Athènes, voilà qui porte un coup à la crédibilité du texte ! Non que les arguments soient spécieux, mais comment être sûr à présent de l'authenticité des exemples cités que je ne maitrise pas.

    C'est aussi une position que vous défendez, François : le savoir, la connaissance permet de mieux assoir son argumentation, et de la crédibiliser aux yeux de ses lecteurs !

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  2. Effectivement, la Pythie à Athènes m'avait échappé !

    "Une coup de verge divine" comme dirait ce bon Montaigne ?

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