dimanche, avril 30, 2006

Jean-François Revel est mort

Quel meilleur hommage que le discours qui l'accueillit chez les immmortels ? (On notera en passant que Le Monde, dans sa perfidie -Le Monde est un journal chattemite qui use beaucoup de perfidie- met en contre point de ce discours une critique acide du Voleur dans la maison vide).
De plus, ça vous fera du bien de lire sur ce blog un discours en français pur, sans les barbarismes, solécismes et fautes d'orthographe habituel.

Réponse de M. Marc Fumaroli au discours de M. Jean-François Revel

DISCOURS PRONONCÉ DANS LA SÉANCE PUBLIQUE

Le jeudi 11 juin 1998

PARIS PALAIS DE L’INSTITUT


Il n'est pas fréquent, Monsieur, qu'un jeune homme aussi gaillard que vous ait déjà publié ses Mémoires, peu de temps avant d'être élu à l'Académie. C'est la première fois, si je ne me trompe, qu'un tel cas se produit. Vous avez ainsi rendu très difficile le plaisir de vous y accueillir. Je ne mesurais pas l'obstacle le jour où, dans un élan d'amitié et d'estime, j'ai accepté l'honneur que vous m'avez fait en me demandant de vous répondre.

Un discours de réception est une sorte de miroir de Venise dans lequel le nouvel académicien, après avoir remercié ses pairs et fait l'éloge de son prédécesseur, est invité à se regarder en grande cérémonie : dans l'image que lui propose l'un de ses confrères, il se voit une dernière fois en simple mortel, au moment où il fait son entrée en immortalité. Cette épreuve du miroir n'est pas exactement l'heure de vérité : l'enceinte académique n'a rien d'une plaza de toros ni du tribunal de l'Éternité, ni à plus forte raison de ce plateau de télévision où vous vous êtes un jour trouvé en butte aux injures d'un Georges Marchais ; mais enfin, c'est un grand moment de face à face public avec soi-même, et la pompe qui entoure nos anciens rites oratoires le rend mémorable pour leur nouvel initié.

Mais vous, vous avez pris les devants : vous vous êtes si bien montré vous-même au naturel dans vos Mémoires que le discours de réception est déjà tout fait. Il est seulement un peu long. Résumez-moi, me direz-vous. Là commence la difficulté : comment réduire en portrait de style académique le héros truculent, guerroyant et picaresque du western d'aventures et d'action que vous avez intitulé : Le voleur dans la maison vide ? Vous aviez une caméra-stylo et je n'ai qu'un pinceau.

Ce projet de portrait d'apparat, unique chance que vous m'ayez laissée de vous représenter après vous à vous-même, a dû très vite évoluer vers le portrait de groupe. Dans vos Mémoires, vous vous êtes donné l'avantage de la narration et qui plus est, de la narration à la première personne. Ces deux techniques donnent une forte impression d'unité. Sans doute, Revel raconte Ricard, Ricard juge Revel, le montage narratif entremêle les lieux et les temps, mais on entend toujours la même voix qui a mué autrefois et qui a mûri depuis. C'est la réussite littéraire de votre livre. Mais moi, à force de relire vos ouvrages, d'entendre vos amis si divers m'entretenir de vous, à force de vous faire poser vous-même à une excellente table de la rue du Cardinal Lemoine, à mi-chemin de mon bureau du Collège et de l'île Saint-Louis où vous habitez, j'ai dû me rendre peu à peu à l'évidence : j'accueille aujourd'hui, au nom de notre Compagnie, dans un même et unique fauteuil, non pas un seul personnage, signataire de livres nombreux et célèbres, auteur notamment de Mémoires, mais bien plusieurs académiciens sous une seule identité et un seul habit brodé de vert.

Faute de pouvoir, comme vous, les fondre dans un même récit haletant de drôlerie et de vie, je vais être obligé de les peindre l'un après l'autre, l'un à côté de l'autre, en espérant que vous vous reconnaîtrez cependant, tenant successivement tous les rôles, dans cette réunion de poètes, d'artistes et de philosophes à la Fantin-Latour, dont les Quarante, sous le seul nom de Revel, reçoivent aujourd'hui le renfort collectif.

Cette société d'âges, d'activités et de loisirs différents, vous-même, je la représenterais volontiers autour d'une table très bien servie, car les festins d'un Revel ne sont pas, comme on sait, que de paroles. À côté des verres, parmi les bouteilles et les plats, la pile de vos livres atteste la fécondité de vos nombreux avatars.

Au bas bout de la table, je ferai voir d'abord un tout jeune Massilien des années 1938-1941. Il aurait pu être un élève de Quintilien, au iii e siècle, ou un personnage adolescent de notre très regretté confrère Marcel Pagnol, sur l'autre versant de ce siècle-ci.

Cet adolescent est mince, robuste, chevelu. Un corps bref et musclé, un visage en lame de couteau ; c'est un caractère entier, fidèle en amitié, violent dans ses admirations et ses irritations, prompt aux amours passionnées comme aux voluptés de passage. Ce garçon intrépide promet d'être un grand vivant, il l'est déjà. Si nous pouvions l'entendre, sa belle voix grave serait peut-être encore, dans ces années profondes, colorée d'accent provençal, avec un imperceptible arrière-fond d'exotisme, car une enfance à Maputo, au Mozambique, avait fait du portugais sa première langue maternelle.

Ce jeune Latin de teint clair est né en Provence en 1924, d'un père lyonnais et d'une mère enracinée dans une Franche-Comté autrefois espagnole. Depuis le retour de ses parents du Mozambique, en 1929, il a grandi dans une belle et ancienne villa provençale, « La Pinède », au milieu d'un parc du quartier Sainte-Marguerite, à Marseille.

À l'automne, cet adolescent accompagne à la chasse, dans la Crau, son père, son oncle et leurs amis ; l'été il pêche en bateau dans le lac de Saint-Point, comme ses lointains ancêtres que représentent les mosaïques du palais de l'empereur Maximien, à Piazza Armerina, en Sicile. Cette Provence encore romaine est tout aussi bien celle de Marius et César : les chasseurs de la Crau, le lendemain de leurs exploits, les racontent et les miment pour le public du « Rendez-vous des chasseurs », sur le Vieux Port de Marseille ; un fusil de bois est à leur disposition pour appuyer leurs galéjades de l'éloquence du geste.

Le jeune garçon étudie en externe, chez les jésuites, à l'école libre de Provence, les auteurs latins et grecs, l'histoire, la philosophie. Le sens du péché n'inquiète pas son tempérament précoce : ses cousines de « La Pinède » et les baigneuses de la Corniche ne lui sont pas, de son propre aveu, farouches. Entre les études et les amours, il a une autre ressource, la bibliothèque et la conversation paternelles. Au banquet de toute une vie, je ne puis manquer de faire figurer, aux côtés de l'adolescent Jean-François Ricard, Joseph-MarieThéophile, son père. Il lui doit les premières nourritures inédites qui irritent souvent contre lui ses régents jésuites, attachés aux auteurs du programme scolaire.

Ce père, à sa manière lettré, n'a pourtant pas fait beaucoup d'études, il est né dans une famille modeste qui compte des dessinateurs pour l'industrie textile lyonnaise. Ancien combattant de 14-18, officier de réserve, deux fois croix de guerre, il doit, comme son frère, à un beau mariage d'être entré dans la moyenne bourgeoisie industrielle. Comme ses amis, il lit L'Action française. Le maurrassisme avait poussé dans l'entre-deux-guerres de profondes racines en Provence, dont Maurras, natif de Martigues, est originaire.

Lire L'Action française, c'était pour M. Ricard un choix politique, ce fut aussi, pour ce petit industriel doué pour les mathématiques plus encore que pour les affaires, une initiation littéraire, à la fois classique par ses références à la Grèce et à la Rome antiques, et très moderne grâce à la liberté des meilleurs critiques dont Maurras s'était entouré. Marcel Proust, correspondant de Maurras, a pu écrire peu avant sa mort, à peu près au temps où Jean-François Ricard venait au monde :

« Ne pouvant plus lire qu'un journal, je lis L'Action française. Je peux dire qu'en cela je ne suis pas sans mérite [...]. Mais dans quel autre journal le portique est-il décoré à fresque par Saint-Simon lui-même, j'entends Léon Daudet ? Plus loin [...] la colonne lumineuse de Bainville. Que Maurras [...] donne sur Lamartine une indication générale, et c'est pour nous mieux qu'une promenade en avion, une cure d'altitude mentale. »

Amateur de poésie et de prose modernes, M. Ricard père était aussi à sa façon un mécène, accueillant chez lui un peintre provençaliste, Audibert, achetant ses tableaux, l'emmenant avec sa famille, en 1938, à Genève, pour admirer une exposition des chefs-d'œuvre du Prado, que le gouvernement républicain espagnol avait mis à l'abri en Suisse.

Les germes des nombreuses curiosités que Jean-François Revel cultivera plus tard avec science et bonheur, les critères d'humanité selon lesquels il jugera les milieux et les cités nombreuses dont il aura fait sont déposés alors chez cet adolescent ardent. Il parlera plus tard, avec reconnaissance et nostalgie, de la « civilisation marseillaise » de sa jeunesse.

Il a déjà l'esprit frondeur et un instinct pour la presse : en classe d'humanités, la seconde de nos lycées, il crée avec une subvention familiale une revue dont il est le directeur et l'unique rédacteur, Le Catalyseur. Il y raille le préfet des études, le père Moille, dont la soutane est trop bien remplie, sous le nom de « Baleine ». Cela vaudra de sérieuses persécutions au journaliste en herbe, que « Baleine » n'appellera plus à son tour que « le Carotteur ». Pour autant, ce mauvais esprit reconnaissait volontiers en privé la science de latiniste hors de pair du vindicatif jésuite.

Il avait aussi trouvé moyen d'entrer en correspondance avec le poète Max Jacob, ce qui laisse entendre à quel point il était déjà intérieurement libre et vis-à-vis de son père et vis-à-vis de ses bons maîtres.

Dès 1941, de vives dissensions politiques explosent entre le père et le fils. Le jeune Jean-François quitte Marseille pour entrer dans l'hypokhâgne du lycée du Parc à Lyon, réputée la meilleure de tout le Sud-Est. C'est maintenant un étudiant indépendant dont le destin échappe à sa famille et qui embrasse, mais à sa manière, celui de sa propre génération.

Au lycée du Parc, il retrouve les belles-lettres telles qu'on les cultive à L'Action française, en la personne du professeur Victor-Henri Debidour, ou à travers l'influence qu'a exercée au lycée de Clermont, sur plusieurs de ses camarades hypokhâgneux venus d'Auvergne, le jeune Pierre Boutang. L'Action française elle-même, directeur en tête, est d'ailleurs alors repliée à Lyon. Mais le choix de l'étudiant est fait en sens inverse. Il est entré comme courrier dans un réseau de résistance où son supérieur direct est un autre professeur, Auguste Anglès, futur auteur d'une érudite histoire de la première N.R.F.

Il évolue dans le milieu de la revue Confluences, que dirigent René Tavernier et Jean Thomas. Il y croise le futur introducteur de Heidegger en France, le philosophe Jean Beaufret. S'il a pris le parti politique opposé à celui de son père, cet engagement ne l'a pas éloigné, pas plus qu'Auguste Anglès, de la littérature. Sous le pseudonyme de François Fontenay, il publie dans Confluences de janvier 1943 une élégie qui ne doit rien aux sombres circonstances :

« Ce sommeil étranger contre le mien dont mon épaule a gardé la forme et dont nous laissions trace à terre Ce bonheur lent de nos deux mains je les avais aimés en toi, au premier soleil dans la nappe de feu, et cette fleur de lumière prête à jaillir de tes yeux. Maintenant je pars à la trace de ton chemin . »

Cette même année 1943, reçu de justesse au concours de l'École normale, le jeune résistant et poète « monte » à Paris, où cette fois son supérieur de réseau est un autre professeur, Pierre Grappin, ami d'Auguste Anglès.

Le destin de sa génération se précipite. Aussi bien à l'École que dans les cercles de la Résistance, la défaite enfin évidente du totalitarisme nazi pousse à l'autre extrême idéologique la jeunesse pensante, qui entre en grand nombre, avec la foi grave du charbonnier, dans les rangs de la secte communiste.

Le jeune normalien, dont ses courageux états de service dans la Résistance avaient fait un chargé de mission auprès d'Yves Farge, commissaire de la République à Lyon, ne cherche pas à en tirer un parti de carrière. Tout au plus a-t-il fait jouer cette autorité éphémère en faveur de son père, qu'il va tirer à Marseille d'un très mauvais pas.

Est-ce ébrouement après une trop forte tension ? Est-ce déception des espoirs conçus dans la Résistance ? Est-ce réaction vitale à l'entrechoquement des fanatismes ? Ou bien est-ce tout simplement cette « ligne d'ombre » dont parle Conrad, et qu'il est si difficile de traverser entre jeunesse et maturité ?

Loin d'entrer en politique, l'archicube Ricard ne se préoccupe même pas de suivre l'autre chemin tout tracé qui se propose à lui : l'agrégation de philosophie. Dans mon portrait de groupe, à côté de l'adolescent gallo-romain et de l'étudiant résistant, fait son entrée un jeune bohème à la recherche d'une identité, quoiqu'il soit déjà chargé de famille.

Il tâtonne dans diverses voies de traverse. Elles n'ont qu'un attrait commun : échapper à tous les enrégimentements pédantesques, qu'il s'agisse d'une préparation de concours, ou de la mise en carte de l'intelligence dans le stalinisme ou le stalino-sartrisme.

Ce bohème, qui se frotte, en même temps que beaucoup d'excellents esprits (un Peter Brook, un Louis Pauwels), à Gurdjieff et à ses « méthodes d'éveil », ou qui vagabonde en Égypte en compagnie d'un fils de famille fantasque et subtil, préfigure dès les années 1946-1949 les errances à la Kerouac et à la Ginsberg, dont il se fera plus tard, dans Ni Marx ni Jésus, l'observateur sceptique, mais attentif, dans l'Amérique des années soixante. C'est au cours de cette période qu'il va se lier à André Breton, dont il restera l'ami jusqu'à la mort de ce grand poète.

Il se laisse tenter par l'Algérie. Cette terre formait encore trois « départements français ». Elle connaissait alors sa dernière embellie, avant que ne s'y déclenche le mécanisme tragique dont nous ne voyons toujours pas la fin aujourd'hui. J'aurais souhaité faire surgir ici, à l'arrière-plan de mon portrait de groupe, le génial, généreux et insupportable Marc Zuorro, qui avait fasciné Sartre et Simone de Beauvoir, avant qu'ils ne le couvrent de sarcasmes. Zuorro, d'origine maltaise, né en Algérie, grand lettré qui n'écrivait pas, et homme d'influence, soutenait la politique du gouverneur général Chataigneau : rapprocher l'élite libérale musulmane et l'élite libérale de la colonisation ; il recrutait pour le gouverneur des jeunes gens de qualité. C'est lui qui convainquit Jean-François Ricard d'accepter un poste à la médersa de Tlemcen. Le limogeage de Chataigneau, l'arrivée à Alger de son successeur Marcel-Edmond Naegelen, les élections truquées du printemps 1948 persuadèrent le jeune professeur de démissionner. Son contrat moral n'avait pas été rompu de son chef. Il savait que cela ne lui faciliterait pas la vie. Mais son éducation politique, commencée pendant la Résistance et la Libération, se poursuivait.

Toujours rebelle aux sentiers battus, après quelques mois difficiles à Paris, il obtient en 1950 un poste à l'Institut français de Mexico. Il ajoute à ses activités de professeur celle d'animateur d'un ciné-club de haute tenue, qui lui permet entre autres de révéler aux Mexicains les premiers chefs-d'œuvre surréalistes, qu'ils ignoraient, de Luis Bunuel, installé pourtant depuis 1938 au Mexique. Il fait l'expérience des réalités de l'Amérique latine. Il se lie aux plus lucides intelligences du continent, un Octavio Paz, un Mario Vargas Llosa. Une étude au vitriol sur la société mexicaine, prise depuis près d'un demi-siècle dans les rets d'un « Parti révolutionnaire institutionnel », est publiée dans la revue Esprit. Cet article impitoyable l'introduit, mais sous un pseudonyme, dans le grand journalisme.

Par ces voies de traverse, le bohème fait son miel. Il apprend sur le tas ce que l'on ne trouve ni dans les livres ni dans les salles de cours. Il ne sera jamais un pédant. Et comme, de surcroît, ni les livres, ni les bons maîtres ne lui ont manqué, ce polyglotte gyrovague peut amorcer de loin, au Mexique, sa vraie carrière, celle d'essayiste, de journaliste et d'écrivain.

Le voici cependant de nouveau professeur, maintenant agrégé, mais non pas docteur, pendant les quatre années fertiles qu'il passe à Florence, à l'Institut français et à la faculté de lettres, de 1952 à 1956.

Il est redevenu célibataire, il a des loisirs pour écrire, pour voyager, souvent en compagnie de son collègue André Fermigier, historien de l'art et fin lettré. C'est à Florence qu'il compose ses premiers manuscrits de longue haleine. C'est aussi à Florence qu'il devient, par l'expérience directe des œuvres, dans la conversation des experts, et la préparation de cours, un historien de l'art sans diplôme, mais dont la suite des événements attestera les compétences. « On ne parvient à la culture, lit-on dans les Mémoires de notre multiple confrère, que par des voies obliques par rapport à l'enseignement officiel, quoique directes par rapport à la culture même. »
Ces écoles buissonnières vont porter leurs fruits dès le retour à Paris du professeur Ricard, en 1956. L'année suivante, après publication en bonnes feuilles dans la revue qui avait été celle des Hussards, La Parisienne, dirigée désormais par François Nourissier et où caracole Jean d'Ormesson, le pamphlet Pourquoi des philosophes ? fait, comme on dit en Provence, « un malheur ». Publiée par René Julliard la même année, l'Histoire de Flore, portrait de femme et roman semi-autobiographique, tombe à plat. L'homme de lettres débutant eût sans doute préféré le contraire. Le batailleur est comblé.

Le nom de Jean-François Revel est devenu célèbre, mais dans le tintamarre : les doctes que son pamphlet a maltraités y contribuent par leur mauvaise humeur ; journaux et hebdomadaires se bousculent pour obtenir sa signature ; le flair des politiques subodore dans ce talent pamphlétaire un allié souhaitable. Encore quelques années, et le succès va lui permettre, en 1963, de quitter l'Éducation nationale et de vivre de sa plume. La ligne d'ombre est franchie, la vie de bohème terminée. Un grand journaliste et écrivain vient s'asseoir à notre table.
Mais ce nouveau venu nous rejoint avec l'expérience et la conscience professionnelle du professeur, métier qu'il a exercé pendant plus de dix ans en France et à l'étranger, et dont il écrira dans ses Mémoires qu'il l'a « adoré ». Des cours ou de la classe, il dira avoir préféré la seconde, « plus humaine et plus technique », et qui fait du professeur un entraîneur parmi un groupe de jeunes gens dont il connaît chaque individualité, et dont il accompagne la maturation singulière. Chaque professeur de collège et de lycée est un peu Socrate parmi la jeunesse d'Athènes.

Encore faut-il que naisse, dans la salle de classe, cette passion commune d'apprendre, que l'élève Ricard avait connue chez les jésuites de l'école libre de Provence, et qu'il avait retrouvée autour de lui au lycée Faidherbe de Lille et au lycée Jean-Baptiste Say à Paris. Si ce désir naturel et élémentaire de croître ensemble est faussé ou même prévenu par un confort intellectuel préfabriqué et prématuré, l'Université, de haut en bas, est menacée de ne plus mériter son beau nom d'Alma Mater. La République, elle aussi, peut connaître cette paralysie de l'esprit.
Le professeur Ricard ne s'était pas heurté à cette paresse hargneuse dans ses classes de lycée. L'essayiste et journaliste Revel va la découvrir peu à peu, et la combattre courageusement de front dans un milieu parisien dont la bonne conscience hautaine protège, comme une carapace, les idées reçues et les calculs de prudence. Sur le forum, face à des adversaires qui savent mordre en meute, il va se montrer, avec d'autant plus de pugnacité qu'il a affaire à des retors, ce Socrate en action dont il avait d'abord exercé l'ironie avec bienveillance, parmi ses élèves.
Les réactions à son premier livre le prévinrent de ce qui l'attendait, et peut-être, le mirent en appétit. Pourquoi des philosophes ? a provoqué une véritable Querelle. Ses adversaires dénoncent une provocation de circonstance : la grosse colère affectée par un inconnu qui se fait connaître aux dépens d'illustres docteurs. Comme Molière écrivant La Critique de l'École des femmes, Revel publie deux ans plus tard, sous le titre La Cabale des dévots, un bilan goguenard de la Querelle dont son livre a été l'objet.

En réalité, anticipant sur les savantes études de Pierre Hadot, la question centrale qui gouverne ce pamphlet est simple et forte. Relayée par Hadot, elle fera son chemin dans l'esprit de Michel Foucault et de Paul Veyne. La philosophie est-elle un mécano de concepts, que l'on monte ou que l'on démonte, comme la théologie pour les docteurs scolastiques, ou bien est-elle une méthode expérimentale qui enseigne à savoir se gouverner soi-même et éventuellement à savoir orienter la Cité, comme le voulaient les écoles antiques du Lycée ou du Portique, et après elles, un Montaigne, un Molière ? Le premier coup d'éclat de l'essayiste, sous sa tonitruance, rappelait au Quartier latin et à ses régents que Massilia, Agrigente, Athènes en avaient su beaucoup plus long qu'eux sur la vie bonne, et sur les chemins qui y conduisent.

Les compliqués d'époque tardive qui, du haut de leur pensoir, échappent à la vérité et manquent la substance savoureuse des choses, avaient essuyé déjà la verve du pamphlétaire. On la retrouve, cette verve, dans l'autre livre, conçu lui aussi à Florence, qu'il publiera en 1960 : Sur Proust. Ce n'est pas un pamphlet. C'est un chef-d'œuvre d'analyse et d'ironie. Proust est en effet devenu l'idole des compliqués. Quel régal de roi de montrer que la Recherche, véritable exercice au sens de Pierre Hadot, est le contraire de ce que ses idolâtres croient savoir de Proust, et que, de surcroît, semble confirmer sa correspondance maniérée ! Le poète de la Recherche, libérateur de Proust, pasticheur de Proust, regarde la vie en face, avec un sens comique aussi robuste que celui de Plaute ou de Molière. Il nous a légué, de sa chambre de malade, parmi ses fumigations, un merveilleux viatique de gai savoir.

Le séjour florentin, le tourisme d'art dans l'Italie profonde ont été une corne d'abondance. En 1958, avait paru, non sans scandale des deux cotés des Alpes, Pour l'Italie. Là encore, un poncif des raffinés volait en éclats : il venait d'être tout fraîchement ravivé par des livres, Tempo di Roma d'Alexis Curvers, La Modification de Butor, et par un film, Vacances romaines. L'Italie de De Sica et de Rossellini était furieusement à la mode.

En solide Latin qui sait ce qu'est la vie civile, l'auteur de Pour l'Italie s'est régalé à faire voir dans ce livre semi-autobiographique une société italienne pathétique et ridicule, corsetée par la bigoterie et la pruderie, déboutonnée par la sous-administration, gâchée par la corruption. Le livre fut bientôt traduit en italien. Il a eu un succès durable dans la péninsule, prompte à se désoler d'elle-même. Il faut l'avouer : cette satire provocante, et vraie à son heure, de l'Italie démocrate-chrétienne d'après-guerre, a vieilli. Elle ne faisait pas assez pressentir, sous la surface, la santé essentielle d'un peuple très expérimenté, et beaucoup plus avisé qu'il ne semble à l'admiration convenue ou à la condescendance des Français. Le professeur à l'Institut de Florence, de retour à Paris, était lui-même la preuve vivante de sa propre partialité : cette Italie qu'il démystifiait si âprement lui avait porté bonheur.

Un autre personnage est venu dans l'intervalle prendre place dans mon portrait de groupe : Revel militant politique. Il tient à la main son premier pamphlet « engagé » : Le Style du Général, publié en 1959, et honoré par un bloc-notes acide de François Mauriac. À l'arrière-plan de ce mousquetaire, décidé à en découdre avec le pouvoir personnel, se dessine peu à peu une silhouette à large feutre noir. Même dans l'ombre, nul ne manquera de reconnaître le singulier sourire de celui que l'on surnomme, depuis longtemps, « le Florentin ». Il est en train d'écrire Le Coup d'État permanent, qui paraîtra en 1964. Il fait figure alors de champion du libéralisme politique et de la construction européenne, face à l'État U.N.R.

Les deux hommes, pour des motifs bien différents, se sont rapprochés en 1961. La nouvelle vedette de la presse et de l'édition avait été révulsée par les conditions et par le programme du retour du Général au pouvoir et il l'avait fait hautement savoir. Le déjà vieux routier de la politique, quant à lui, avait flairé dans ce malaise, partagé au centre comme à gauche de l'échiquier politique, sa chance d'opposer un jour rassemblement à rassemblement, et d'emporter la partie.

Le généreux est séduit, jusqu'à un certain point, par le très habile politicien. Il entre dans son gouvernement fantôme, au titre de ministre de la Culture. Il se réjouit du ballottage inespéré de 1965, qui pose François Mitterrand, au second tour des présidentielles, en David de l'opposition contre de Gaulle-Goliath, ce qui fait de cet heureux candidat battu le chef de l'opposition, de préférence à Mendès, à Defferre, à Lecanuet. Revel se présente même à la députation en 1967, sur l'une des listes F.G.D.S. les moins promises au succès, à Neuilly-Puteaux.

Dès 1972, il s'éloigne du tentateur. Le contre-rassemblement sur lequel François Mitterrand, après ses déboires en 1968, compte pour conquérir le pouvoir, n'est plus du tout ancré au centre, comme c'était encore le cas dans les dix années précédentes : il veut maintenant engranger le poids électoral des communistes ; son programme commun, pour l'essentiel, est celui que lui a dicté le parti stalinien.

L'éducation politique de l'écrivain Revel s'achève. Il s'est rapproché à la fois du Raymond Aron de L'Opium des intellectuels (1957) et du Jean-Jacques Servan-Schreiber du Défi américain (1967). Dès octobre 1972, il a l'audace de dénoncer, dans un éditorial de L'Express, les « scellements ignorés » qui rattachent en France la pesanteur des idéologies dominantes, l'arbitraire de l'État et l'information biaisée dont souffre le public. Désormais, les assis de gauche voient en lui un affreux trublion.

Les livres qu'il va publier exposent avec une impardonnable vigueur dialectique les conclusions libérales auxquelles l'ont conduit ses nombreux voyages et séjours dans les pays de l'Est, en Amérique latine et en Amérique du Nord, et son expérience des coulisses de la vie politique française. La Tentation totalitaire, en 1976, est suivie, après quelques mois, par La Nouvelle Censure, un exemple de mise en place de la mentalité totalitaire où l'auteur, analysant les réactions furieuses à son livre, démonte les mécanismes de défense des chiens de garde de l'orthodoxie progressiste et range les rieurs de son côté. Le Rejet de l'État en 1984, Le Regain démocratique en 1992, scandent un long et patient effort pédagogique pour déniaiser les élites françaises, et les convaincre que l'État envahissant, de quelque nom dont on le pare, colbertiste, keynésien ou marxiste, n'est plus qu'un dinosaure: la liberté d'entreprendre est encore, ou de nouveau, la meilleure chance de vitalité et d'avenir pour les sociétés de la fin du siècle.

Pourtant, l'essayisme politique est très loin de résumer son existence. Tout en livrant, sur le forum, cette bataille de longue haleine, et qui n'est toujours pas gagnée, le lettré a publié des essais étincelants dans les colonnes de France- Observateur et du journal Arts : ils ont été réunis depuis sous le titre Contrecensures. Il dirige chez Pauvert la collection « Libertés » qui publie ou réédite plusieurs courts chefs-dœuvre du pamphlet : La Trahison des clercs de Benda, La Littérature à l'estomac de Gracq, Nouvelle critique, nouvelle imposture de Raymond Picard. Plusieurs brûlots ont été ainsi lancés dans le bunker de la pensée captive du Quartier latin.
Un autre Revel, amateur et historien de l'art, fait traduire chez René Julliard les classiques américains, anglais et italiens de la discipline, et il écrit lui-même de nombreuses études dans L'Œil et dans Connaissance des arts ; elles viennent d'être réunies cette année même dans un beau recueil intitulé : L'Œil et la connaissance.

L'agrégé de philosophie n'oublie pas pour autant sa vocation première : dans Descartes inutile et incertain, il dénonce une célèbre tentative française de faire coïncider la pensée théologique avec la science, et il poursuit sa pointe dans une Histoire de la philosophie occidentale qui se refuse à la technicité et vise un large public.

Le poète qu'il fut, le correspondant de Max Jacob dans ses années de collège, l'admirateur et ami de Breton après la guerre, a fait paraître une Anthologie de la poésie française. Ni Voltaire, ni Péguy, ni Claudel, n'y figurent. Mais on y trouve, parmi d'admirables chefs-d'œuvre lyriques connus ou moins connus, le sonnet d'Oronte et de Georges Fourest, un « Pseudo sonnet africain et gastronomique ou (plus simplement) repas de famille ».Voici le second tercet :

« Makoko reste aveugle à tout ce qui l'entoure : Avec conviction ce potentat savoure Le bras de son grand-père et le juge trop cuit . »

Comme vous le voyez, mon portrait de groupe s'est accru tout à coup de nombreux convives. Je n'aurai garde de manquer d'y faire figurer aussi le gastronome éclaire et le connaisseur des grands crus. Cet autre Revel a écrit un chef-d'œuvre d'érudition élégante et de succulentes saveurs : Un festin en paroles. On le dirait traduit du latin dAulu-Gelle ou d'Apulée. Son auteur est membre du club des Cent, une académie de Lucullus qui hérite d'une tradition parisienne remontant au club de la Fourchette, puissance occulte et déterminante, sous la monarchie de juillet, dans les élections à notre propre Académie.

Les Cent se réunissent une fois par semaine, leur jeudi concurrent du nôtre, autour d'un déjeuner organisé, surveillé et expérimenté à l'avance par un brigadier. Le brigadier Revel a fait triompher, au cours de l'un de ces plantureux déjeuners, une recette romaine, le canard d'Apidus. Canard poché dans un bouillon salé et aromatisé, puis rôti, après avoir été nappé d'une couche de miel et d'épices variées, poivre, coriandre, cumin, assa fetida, servi avec un vin de Banyuls, faute du Falerne cher à Horace. Ce chef-d'œuvre de l'Antiquité est encore au menu d'un des grands restaurants de Paris, repris par le même maître queux qui l'avait mitonné d'abord sous la direction experte de notre nouveau confrère.

L'homme, public et privé, des années soixante-dix, est-il parvenu à ce dosage équilibré entre loisir lettré, luttes du forum, et sagesse personnelle vers lequel il n'a, au fond, cessé de tendre depuis sa crise de jeunesse ?

Il s'en est beaucoup rapproché. Mais il a encore besoin de batailles publiques pour absorber le surcroît de sa prodigieuse vitalité et donner libre cours à son goût du défi. Peu à peu, il est passé du statut de grand journaliste, à France- Observateur, puis à L'Express, où il était entré comme éditorialiste de la section « livres » en 1966, à celui de capitaine de presse. Imaginez-le, tel qu'il apparaît alors, entre deux avions, deux conseils de rédaction, deux bouclages sur le marbre, deux coups de téléphone, deux révélations sensationnelles et soigneusement préparées, depuis qu'il est devenu en 1978 directeur de la rédaction de l'hebdomadaire fondé par Jean-Jacques Servan-Schreiber, et maintenant propriété de Jimmy Goldsmith. L'éditorialiste politique de L'Express est Raymond Aron. Pour le voir, pour l'entendre, évoluant entre ces deux personnalités de grand format et de style entièrement différent, souvenez-vous des pages les plus mouvementées de ses Mémoires. C'est Athos entre un Porthos des affaires et un Aramis de la pensée.

La rupture avec L'Express en 1981, l'entrée l'année suivante au Point, l'hebdomadaire rival fondé par Claude Imbert en 1972, inaugurent la longue saison dorée de Jean-François Revel. Elle dure depuis presque deux décennies déjà, fertiles et sereines à l'intérieur, toujours pugnaces à l'extérieur.

À Claude Imbert, vous pourriez dire, cher Jean-François, paraphrasant Virgile : Amicus haec otia fecit. Depuis que Le Point vous permet d'exercer le journalisme sans rompre tous les jours en visière les démons de la communication, que vous avez si courageusement dénoncés dans La Connaissance inutile, votre devise n'est-elle pas le mot de Sénèque : Otium sine litteris mors est, et vivi hominis sepultura ?

Ces longues années au Point ont fait de vous un magistrat de la presse et des lettres et un sénateur à vie de la politique française.

Faute de siège au Sénat de la République, récompense des hommes de parti, votre indépendance s'est tournée vers nous. Notre Compagnie, qui est faite d'une conjonction de singularités, l'a reconnue volontiers pour sienne et vous reçoit aujourd'hui, avec tous ceux que vous avez été tour à tour et à la fois, depuis votre enfance à « La Pinède », à la table de son propre banquet d'Immortels.

Il est dommage que David, le néo-classique David, n'ait pas dessiné pour l'Institut un costume à l'antique, toge à vastes draperies et couronne de lauriers. Il vous siérait beaucoup mieux encore que notre moderne habit vert. Vous êtes, dans votre plus récente Incarnation, un parfait modèle pour l'un de ces sculpteurs romains qui ont porté au très grand art le portrait individuel des hommes publics, ou pour l'un de leurs splendides héritiers français du siècle des Lumières, Bouchardon ou Pajou. Et ce n'est pas seulement par des affinités physiognomoniques que vous appartenez à la Rome de l'empereur Hadrien, ou à celle qu'habitait, pour y méditer sur la grandeur et la décadence, Charles de Secondat de Montesquieu.

C'est aussi, et c'est surtout, par votre amour de la sagesse, de la liberté, de la vérité, par votre allergie aux dieux, par votre culte de l'amitié, par votre culture nourrie d'auteurs latins et de poètes français. Parmi tous ces traits d'ancien Romain et de Français des Lumières, je voudrais isoler et rapprocher, pour achever ce portrait, votre religion de l'amitié et votre inimitié pour les religions.

Vos Mémoires (mais aussi ma propre enquête et ma propre expérience) attestent votre don d'attirer à vous, sous tous les cieux, des amis de qualité, et de les garder. Ils sont nombreux aujourd'hui dans cette enceinte pour vous faire fête. En filigrane, votre autobiographie est un véritable traité De amicitia. Mais elle ne cache pas, c'est le moins que l'on puisse dire, votre éloignement pour les Églises, pour leurs dogmes, pour le socle sacré sur lequel elles affirment toutes jalousement reposer.

Ce culte de l'amitié et cette répulsion pour les cultes sont l'avers et le revers d'un même humanisme laïc parvenu à maturité. Vos prédilections vont aux époques, comme celle de Cicéron et de Sénèque, ou celle de Montesquieu et de Voltaire, où les dieux anciens sont morts, et où le Dieu nouveau reste encore caché. Dans ces parenthèses de l'histoire religieuse des hommes, la terre et non le ciel, la société et non l'après-vie, l'instant qui fuit et non l'éternité, sont le terrain d'exercice, pour des élites éclairées, d'un art de vivre ici-bas. Mais sommes-nous à l'époque des élites éclairées ? Vous avez démontré vous-même que les religions séculières peuvent être plus aveugles et plus féroces — et j'ajouterais beaucoup moins fécondes — que les religions de la transcendance.

On a pu s'étonner que, l'année dernière, dans un dialogue intitulé Le Moine et le Philosophe vous ayez semblé rompre avec le Tanturn religiosuasit malorum de Lucrèce. Le succès de ce dialogue a démontré l'intérêt croissant pour le bouddhisme qui se manifeste en France comme dans tout l'Occident euro-américain. Il est vrai que, dans cet entretien qui a pour objet le bouddhisme tibétain, vous avez pour interlocuteur votre propre fils, Matthieu, qui fut l'un des meilleurs élèves à l'Institut Pasteur de notre confrère François Jacob. Contre toute attente, et d'abord contre vos propres vœux, Matthieu Ricard s'est soudain détourné de la brillante carrière scientifique qui lui était promise. Il est devenu le meilleur disciple du moine bouddhiste tibétain Dilgo Khyendsé, et maintenant un très proche collaborateur du dalaï-lama. Il est vrai aussi que votre horreur des États exterminateurs ne peut que vous rendre solidaire du Tibet, soumis par la Chine communiste à un génocide lent, mais radical, et éveiller votre bienveillance pour l'ancienne et savante religion qui est l'âme de ce peuple martyr. Malgré tout, vous tenez bon dans ce dialogue la cause agnostique de la science et de la philosophie. La compréhension que vous accordez au bouddhisme s'adresse à une sagesse analogue au stoïcisme et à l'épicurisme antiques qui vous sont chers ; vous y reconnaissez une méthode pour approfondir la conscience verticale de l'instant, et non pas une religion de salut. L'amitié évidente qui vous unit à votre fils n'a pas fait de cet échange l'amorce de votre conversion : entre Jean-François et Matthieu, c'est l'expérience partagée du jardin de Candide, une conversation d'intelligences diversement orientées, et qui tient en respect, aussi longtemps qu'elle peut durer, le fanatisme et la terreur.

Votre humanisme laïc, que je situerais volontiers dans la tradition d'Alain, avec plus de chaleur généreuse dans votre cas, ne s'oppose pas à la science. Au contraire, il a besoin d'elle, elle a besoin de lui, il la complète dans l'ordre des mœurs. Il vise comme elle à rendre ici-bas plus commode, plus raisonnable, moins douloureux et moins bref.

Vous venez de nous tracer un magnifique portrait d'homme de science, qui était aussi à sa manière un saint laïc, Étienne Wolff.

J'ai rencontré pour la première fois Étienne Wolff à Rouen, au lycée Corneille, où il avait fait ses études secondaires, et où il présidait les célébrations du tricentenaire du poète dramatique, qui avait fait ses études dans les mêmes murs élevés au dix-septième siècle pour recevoir un grand collège de Jésuites. L'illustre savant, timide, intimidant, était resté ce jour-là sur la réserve. En réalité, j'eus plusieurs fois l'occasion, lorsque j'étais candidat au Collège de France, dont il a été un sage et vigilant administrateur, vous venez de le rappeler, puis à l'Académie française, où il occupait le fauteuil de La Fontaine, de découvrir que j'avais obtenu d'emblée, sans le savoir, son estime, sa sympathie, son soutien, et ce soutien était de poids. J'eus souvent l'occasion depuis de m'entretenir avec lui, et de mieux deviner, sous la pudeur, une profonde sensibilité qu'un cruel veuvage avait endolorie, et de frémissantes antennes tournées vers autrui.

Pour lui, les lettres étaient une consolation, mais il voyait aussi en elles le socle sur lequel la science moderne s'était édifiée. Aussi était-il intimement persuadé qu'entre les deux étages de la connaissance, l'un recourant aux seules langues naturelles, l'autre faisant appel aux langages symboliques, la conversation était beaucoup plus naturelle et plus fertile que ne l'avait prétendu, dans un essai trop célèbre, intitulé Les Deux Cultures, le professeur C.P. Snow. Lui-même était la preuve vivante de cette complémentarité.

Ce n'était pas seulement par sa fréquentation quotidienne des auteurs classiques, qu'il avait appris à aimer au lycée. Il lisait les modernes, les contemporains. Il demandait aux écrivains de maintenir en alerte son imagination et la fine pointe de son esprit. Biologiste et tératologue, il était aussi grand botaniste, zoologue et géologue. Il disait volontiers que dans ces sciences, la précision de la langue est le point de départ et d'arrivée de toute recherche. Linné était ainsi parent proche de Littré. Il réunissait en lui Linné et Littré dans les séances du Dictionnaire, ou il resta assidu jusqu'à ses derniers jours, avec son extraordinaire mémoire des mots rares et son aptitude aux définitions nettes et concises. Nous vous sommes tous reconnaissants de l'éloge que vous venez de prononcer à sa mémoire. Nous l'aimions tous chèrement. Vous l'avez fait apparaître devant nous tel qu'il vit toujours dans nos cœurs.

J'aurai rempli moi aussi mon office dans ce rite d'accueil si, en échange, j'ai le moins du monde réussi à faire sentir à tous que l'inspiration de vos diverses vies, de vos multiples talents, de vos convictions, de vos colères et de votre ironie critique, est en dernière analyse cette même bonté qui était l'âme de votre prédécesseur. C'était aussi, pour les Romains, la définition de l'orateur : vir bonus dicendi peritus, et pour nous celle de l'académicien français.

Le Ciel, parmi toutes les béatitudes qu'il dispense aux hommes à sa guise, a choisi, pour notre bonheur, de vous pourvoir sans compter de cette bonté qui fonde et qui anime le talent d'écrire. C'est pourquoi notre Compagnie vous accueille aujourd'hui à bras ouverts.

Entendu à la radio

"Les immigrés, dans le système social français (35 h, beaucoup de vacances, beaucoup d'impots) qui favorise une grande productivité qu'ils n'ont pas par la force des choses, sont condamnés à la mendicité ou au vol. On critique les petis boulots d'autres pays, mais ils sont un excellent, le seul, moyen d'intégrer les immigrés sans formation."

La remarque peut sembler brutale, mais elle est vraie (que sont le RMI et allocs sinon une mendicité collective ?) : le lien entre notre soi-disant "modèle" social et les difficultés d'intégration des immigrés ne fait aucun doute.

La générosité du communisme ? Quelle tristesse !

Dans un commentaire, je m'affligeais des scores électoraux des communistes en France et du traitement différent du communisme et du nazisme, alors qu'à mes yeux, ils se valent dans l'horreur.

François Delpla me répond :

"quelque chose est malgré tout de bon aloi et imprégné de valeurs positives (générosité, humanisme, refus des humiliations, goût pour la liberté, souci des humbles etc.) chez ceux [les communistes d'aujourd'hui] que vous citez et qui, je vous l'accorde, ne brillent pas toujours par la cohérence et le réalisme"

Je trouve ce propos choquant et usé jusqu'à la corde. La "théorie" communiste serait généreuse, seule la "pratique" pêcherait, c'est oublier un peu vite que :

> la "théorie" est d'une grande violence (dictature du prolétariat, désignation d'un ennemi, le bourgeois, quête d'un "homme nouveau" avec ce que cela suppose de violence et de contrainte) Sa supposée générosité est toute relative ! Le terrain est glissant. Après tout, le nazisme était très généreux, en "théorie", pour le peuple allemand, non ?

> le marxisme s'est toujours réclamé de la praxis. Il est donc particulièrement malhonnête d'opposer la théorie et la pratique communistes, surtout que, partout et toujours, la prise de pouvoir des communistes a tourné au drame.

Je crois que la faveur dont jouit encore le communisme dans l'électorat français vient du manque de travail de mémoire, bloqué par l'intelligentsia qui n'a jamais complètement renié le marxisme de sa jeunesse.

Des survivants du goulag parcoureraient les collèges et les lycées pour témoigner comme le font les survivants des camps nazis, les choses changeraient, mais justement ça ne se fait pas.

Nos intellectuels et semi-intellectuels, notamment ceux de l'éducation nationale, font au fond encore leur la phrase stupide de Sartre : "Tout anti-communiste est un salaud."

Ca ne serait pas grave si la persistance d'une vision marxiste simpliste dans la politique française (patron méchant, ouvrier gentil, Etat bon) n'empêchait pas le débat clair, franc, mais complexe que j'appelle de mes voeux.

samedi, avril 29, 2006

Cet Etat qui tue la France (N. Lecaussin)

FF

Le sujet du livre est dans le titre. N. Lecaussin travaille pour l'IFRAP.

Le diagnostic est, hélas, simplissime et tient en deux chiffres et un constat :

> le pourcentage de fonctionnaires et assimilés tourne autour de 25 % de la population active en France contre 14 à 17 % dans les pays comparables (GB, Allemagne, USA, Suède, Irlande, Canada, etc.)

> Les dépenses publiques sont à 55 % contre du PIB contre 34 à 45 % pour les pays comparables (sauf Suède, mais qui, justement a fait un gros effort d'efficacité)

> or, on constate que, dans aucun domaine, même pas la santé, la France n'est première, sauf dans celui des dépenses étatiques.

La France souffre d'hypertrophie étatique grave. Aujourd'hui, un gouvernant responsable ne devrait pas se demander "Que faire ?" mais "Que ne pas faire ? Quel pouvoir redonner aux individus ? Quelle réglementation abolir ? Quel impot supprimer ? Quels ministères liquider ?"

Comment arriver à cela ? Très simple : par la lumière, par la vérité, par la démocratie.

Aujourd'hui, des intérêts puissants s'efforcent de brouiller le débat ; c'est ainsi, contre toute décence, qu'on voit des fonctionnaires assurés de leur emploi manifester contre la précarité ou les mêmes s'ériger, non seulement sans légitimité aucune, mais en dépit d'un flagrant conflit d'intérêts, en défenseurs du service public.

Autre exemple de brouillage du débat : Nicolas Sarkozy vient de déclarer qu'on ne retenait pas de partir les immigrés qui n'aiment pas la France. Aussitôt, on l'accuse de lepénisme. Mais c'est un détournement d'attention : la formulation n'est pas choquante et le débat mérite mieux que cela (1).

Moins de tabous, d'anathèmes, plus de vérité, plus de lumière.

(1) : quand quelqu'un, que j'ai plus ou moins invité, débarque chez moi et m'explique qu'il me hait et que ma maison est moche comme tout, il est légitime que je me pose des questions et que je ne me contente pas de "Ne réponds pas, mon chéri, c'est rien : il est juste un peu énervé."

jeudi, avril 27, 2006

Que nul pilote n'est un surhomme ...

Il y a quelques années, une équipe militaire d'une nation amie venait faire de l'initiation au planeur en montagne. Parmi les invités, un pilote de chasse à plusieurs dizaines de milliers d'heures de vol et quelques victoires aériennes, bref un as. Un monsieur comme ça, on ne lui fait pas l'affront de le mettre dans un planeur biplace, on le met directement dans un monoplace.

Tout le monde décolla. Et, au bout d'un certain temps, on entendit hurler à la radio dans une langue bizarre : c'était l'as qui appelait sa mère dans sa langue natale.

Il s'était perdu dans un environnement inhabituel et avait saturé (1). Ce jour-là, il s'est trouvé quelqu'un pour lui causer dans sa langue natale et le ramener.

Comme quoi ça peut arriver à tout le monde (même à moi).

(1) : saturation mentale : quand le stress est très intense, on perd ses facultés mentales, au point que faire "2+2" devient difficile, jusqu'à un niveau tel qu'on arrive à saturation, qu'on ne peut plus faire le moindre effort de réflexion et qu'on a des réactions très régressives. La bonne technique est évidemment de respirer, de faire les choses méthodiquement (les ailes à plat, garder la vitesse, etc.) de manière à faire baisser le stress, mais, justement, quand on sature, c'est qu'on n'est plus capable de ce genre de démarche raisonnée.

Caligula a fait son cheval consul, Chirac a fait Douste ministre

Quand on voit qu'un con pareil peut être ministre, on réalise dans quel panade on est.

Clémenceau dirait bien que les ministres cons n'ont jamais manqué, mais il y a des limites.

Philippe Douste-Blazy, "Mister Bluff" au Quai d'Orsay

LE MONDE 27.04.06 15h25 • Mis à jour le 27.04.06 15h25

Le ministre des affaires étrangères ne parle pas l'anglais, ni l'espagnol, ni aucune autre langue que le français. Il ne pratique pas non plus le langage diplomatique qui oblige à peser la moindre virgule avant d'évoquer les affaires du monde.

Ce n'est pas forcément un mal de s'affranchir de la norme technocratique. Mais cela terrifie les ambassadeurs, le Quai d'Orsay, Matignon, et l'Elysée, qui ont pris l'habitude de le faire suivre à la trace par un fonctionnaire armé de dossiers et d'un magnétophone.

Le ministre n'a pas toujours une vision très claire de la géopolitque. Il s'est laissé plusieurs fois surprendre à confondre Taïwan et la Thaïlande, la Croatie et le Kosovo. Lorsqu'une catastrophe aérienne a endeuillé la Martinique, le 16 août 2005, il a voulu aussitôt se rendre à Fort-de-France. Il a fallu que l'Elysée intervienne pour rappeler que les Antilles ne sont pas un territoire étranger. Quand il s'ennuie dans une réunion, même devant les plus grands directeurs du Quai d'Orsay, il peut ostensiblement sortir son téléphone portable et pianoter des SMS sans plus rien écouter.

Il y a quelques mois, Condoleezza Rice a fait appeler son cabinet. La conseillère du président américain avait joint tous ses homologues et souhaitait parler à Philippe Douste-Blazy. C'était un vendredi. Le ministre était dans sa circonscription de Toulouse. Sans traducteur ni conseiller diplomatique auprès de lui. Selon des sources diplomatiques, le Quai, à la grande surprise de Washington, a préféré dire à l'Américaine de rappeler après le week-end.

Les premiers mois après son arrivée, en juin 2005, les diplomates français vivaient dans la terreur de ses gaffes. En visite à Gaza, en septembre, on le vit assurer que les Israéliens étaient prêts à embaucher de jeunes Palestiniens, alors même que les permis de travail, déjà en nombre très réduit, sont seulement attribués aux hommes mariés de plus de 35 ans depuis plus de dix ans. La presse israélienne, éberluée, l'a suivi jusqu'au musée Yad Vashem de la Shoah, à Jérusalem. Long arrêt devant une carte d'Europe qui présente chaque pays en deux colonnes figurant l'importance des communautés juives "avant et après" la seconde guerre mondiale. Le ministre français : "Il n'y a pas eu de juifs tués en Angleterre ?" Réponse gênée du conservateur du musée : "Mais, M. le ministre, l'Angleterre n'a pas été occupée par les nazis." M. Douste-Blazy n'a pas sourcillé et a repris : "Mais il n'y a pas de juifs expulsés d'Angleterre ?"

A New York, après un dîner important à l'ONU entre ministres, sans les conseillers, les diplomates français réclament, comme c'est l'usage, un débriefing. Le ministre se montra si flou qu'il fallut réclamer un compte rendu... à son collègue britannique. Dominique de Villepin, qui l'aime pourtant bien, s'agace souvent de ses déclarations à contretemps. Et Jacques Chirac a peu apprécié les propos très catégoriques de son chef de la diplomatie quant aux aspects "militaires" présumés du nucléaire iranien, propos qui ont valu au ministre une place de choix dans le New York Times du lendemain.

La communication est l'un des dadas de Philippe Douste-Blazy. Il l'a d'ailleurs annoncé aux diplomates dès son arrivée. Aujourd'hui encore regrette-t-il devant nous, "les autres ministères sont sous le regard permanent des médias. Ici, la moindre phrase doit être travaillée pendant des heures, mais cela n'intéresse personne. TF1 ne fait jamais rien."

Autant dire que son arrivée au Quai d'Orsay a désorienté bon nombre de fonctionnaires. "Tenir" ce ministère est difficile. Les dossiers sont multiples, complexes, mouvants. Les voyages sont nombreux. Tout dérapage peut provoquer un incident. Ici, un ministre faible est vite accusé de tous les maux : le déclin de la France dans le concert des nations, les réductions budgétaires qui affectent le ministère depuis déjà quatre ans. Mais au fond, on reproche surtout à "Douste" d'être le syndrome de cette fin de règne élyséenne qui n'en finit pas.

Le jugement est sévère. Il n'est pas toujours partagé par ses prédécesseurs. Alain Juppé l'encourage à persévérer. Le socialiste Hubert Védrine montre une certaine indulgence, en privé. Mais dans le sérail, on ne lui passe rien ou presque. A ses surnoms de toujours dans le monde politique, "Douste-Blabla" et "Docteur Douste et Mister Bluff", sont venus s'ajouter ceux de "Mickey d'Orsay" et "Condorsay" que les diplomates se susurrent entre eux d'un air déprimé.
Philippe Douste-Blazy n'ignore rien de tout cela. Depuis vingt ans qu'il fait de la politique, il a toujours suscité l'engouement, puis le doute. "Avec lui, dès qu'on gratte un peu, on sent tout de suite le Formica", a souvent dit le député des Hauts-de-Seine André Santini, qui l'a côtoyé des années à l'UDF. "Douste" est malin, rapide, drôle souvent. Mais il a une incroyable légèreté intellectuelle qui fait à la fois son charme et sa limite. Lui-même explique les choses franchement : "Quatre ou cinq jours avant d'être nommé à Matignon, Dominique (de Villepin) m'a demandé ce que je souhaitais. Je voulais un ministère régalien pour compléter mon parcours. L'économie ou l'intérieur." L'exigence était ambitieuse. Certes, Philippe Douste-Blazy a mené en 2002 une partie de l'UDF dans le giron de l'UMP, alors chiraquien, et a pris fait et cause pour Dominique de Villepin contre Nicolas Sarkozy.

Ancien médecin, il s'est plutôt bien débrouillé au ministère de la santé et a amorcé un début de réforme de l'assurance-maladie. Mais, en ce printemps 2005, il n'a pas de compétences pour ce qu'il réclame. Bercy paraît trop gros pour lui. François Pinault, l'un des rares grands patrons à côtoyer régulièrement Jacques Chirac, a mis en garde le président : les finances publiques et la relation aux entreprises ne s'improvisent pas. Quant à l'intérieur, ce n'est qu'à condition d'y être nommé que Nicolas Sarkozy est prêt à revenir au gouvernement.

Villepin ouvre donc deux portes : un vaste ministère des affaires sociales ou les affaires étrangères. "Douste" opte pour le prestige du Quai. "Seulement, reconnaît-il, je suis arrivé après le non à l'Europe." L'Elysée et Matignon ne l'ont pourtant pas laissé seul aux manettes. Pratiquement aucune nomination d'ambassadeur n'est de son fait. Son cabinet, hormis une demi-douzaine de collaborateurs - dont trois chargés de la communication alors que ses prédécesseurs n'en avaient qu'un -, a été entièrement composé sous l'oeil de Jacques Chirac et de Dominique de Villepin. Le directeur de cabinet, le très élégant et dévoué Pierre Vimont, est l'ancien patron du cabinet de Dominique de Villepin, puis de Michel Barnier au Quai d'Orsay.

Le nouveau secrétaire général du ministère, Philippe Faure - un diplomate qui a passé dix ans dans le privé - est un ami du premier ministre. Et à l'Elysée, le sherpa du chef de l'Etat, Maurice Gourdault-Montagne, s'attache à faire du Quai d'Orsay le back office de la présidence. "Imaginez un peu : avec, au-dessus, un président de la République et un chef du gouvernement lui-même professionnel de la politique étrangère, note avec flegme l'ancien premier ministre Jean-Pierre Raffarin, le titulaire du portefeuille ne peut être qu'un aimable second."

Le ministre se moque pourtant que l'on puisse douter de sa compétence. C'est une de ses grandes forces que de n'avoir aucune des marques d'orgueil qui peuvent freiner l'audace. "Douste" aime le risque. Croit en sa chance. Méprise les fonctionnaires. Et rêve finalement d'une vie d'aventures. Longtemps, lui qui se vante d'être un bon pilote de rallye, il a lâché cette phrase à ceux qui lui recommandaient la prudence : "Quand j'aborde un tournant, j'accélère !" Lorsqu'il était ministre de la culture (1995-1997), il riait lui-même de ses insuffisances. On l'a vu faire chevalier "des chiffres et des lettres" un grand écrivain et débiter avec le plus grand naturel les fiches de lecture rédigées par ses collaborateurs. On l'a aussi entendu théoriser tout haut sa technique pour visiter une exposition d'art contemporain : "Passer les trois premières oeuvres... Ralentir à la quatrième... S'arrêter longuement à la cinquième et la déclarer très profonde. Ça marche très bien !"

"Douste" s'en flatte : cette désinvolture ne l'a pas empêché jusqu'ici de faire une fulgurante carrière politique. Elle lui donne même le culot d'accomplir deux ou trois coups d'éclat. Au ministère des affaires étrangères, il a cependant vite vu qu'il ne parviendrait à trouver ni autonomie ni visibilité. Ses tentatives pour s'affirmer sur le contentieux nucléaire iranien ont été vitrifiées par l'Elysée. La ministre des affaires européennes, Catherine Colonna, a l'entière confiance du président pour tout ce qui relève de l'Europe. Et l'Afrique est la chasse gardée du président.

Philippe Douste-Blazy s'adapte donc et se concentre sur ce qu'il sait faire : la médecine, l'humanitaire, la communication. Le 5 janvier, il a organisé le rapatriement en France d'une trentaine d'enfants libyens infectés par le sida et obtenu en échange de rencontrer un groupe d'infirmières bulgares emprisonnées par le régime de Kadhafi. Reprenant une idée de Bill Clinton, il jette aujourd'hui toutes ses forces dans la réalisation d'un projet ambitieux : la facilité internationale pour l'achat de médicaments (FIAM) qui vise à améliorer l'accès aux médicaments des populations des pays pauvres touchées par trois pandémies mondiales : le sida, la tuberculose et le paludisme. "Le fait qu'on laisse mourir les pauvres alimente le terrorisme", assure-t-il. La FIAM - et son adossement sur une taxe sur les billets d'avions voulue par Jacques Chirac - a été peaufinée à coups de réunions. Des réunions managées à sa façon.

"Douste" a toujours su mobiliser autour de lui des jeunes gens ambitieux et rapides, communicants, producteurs de télévision, patrons de la radio NRJ, parmi lesquels le ministre se sent à l'aise parce qu'ils échappent aux circuits classiques de l'énarchie gouvernementale. Si la FIAM marche, Douste aura, après tout, laissé quelque chose d'utile de son passage au Quai d'Orsay. "Il a trouvé un terrain sur lequel il a prise", reconnaît un membre de son cabinet qui défend d'ailleurs cependant la "fraîcheur" de son ministre : "Il ne s'embarrasse pas de décorum, fonctionne à l'oral. Dans un univers où chacun pond des notes, cela a quelque chose de décapant et d'intéressant."

Mais ensuite ? C'est là qu'est la difficulté. Philippe Douste-Blazy s'est peu à peu isolé au sein du monde politique. Bien sûr, sa séduction et son entregent lui ont d'abord valu des succès. Il fait toujours figure, à 53 ans, de gendre idéal et est le parrain d'une bonne douzaine d'enfants. Mais la plupart de ses anciens collaborateurs l'ont quitté, exaspérés par sa légèreté et son insatiable ambition. Pire, beaucoup lui reprochent de mentir partout sur tout, à tous.

Au départ, cela ne l'a pas forcément desservi : il ment souvent avec talent. En 1993, le jour de la nomination du gouvernement d'Edouard Balladur, c'est en contrefaisant la voix du centriste Bernard Stasi qu'il parvient à décrocher un rendez-vous avec Simone Veil. Celle-ci est pressentie pour tenir les affaires sociales. Lui, vient de conquérir la mairie de Lourdes mais n'est encore qu'un de ces jeunes médecins qui gravitent dans les milieux rénovateurs du centre et de la droite. Il a cependant marqué la mémoire de l'ancienne présidente du Parlement européen, quelques années plus tôt, en la raccompagnant en voiture et sur des chemins défoncés, de Sarajevo en guerre. "Douste" l'appelle donc au restaurant et décroche un rendez-vous. Il la convaincra, au charme, de le prendre avec elle comme ministre délégué à la santé.

Au fil des années, pourtant, ses amis se sont lassés de sa désinvolture à l'égard de l'argent de l'Etat, de l'amitié, de la fidélité. Les écouter, c'est entendre une longue liste d'histoires drôles et terribles de trahisons et de coups tordus. C'est voir "Douste" invoquer pour la vingtième fois l'agonie de son père (pourtant en parfaite santé), ou un rendez-vous avec Jacques Chirac (alors que la radio vient d'annoncer le président en province) pour justifier un retard qu'on lui aurait sans doute pardonné. C'est le trouver tour à tour généreux pour un malade, mais blessant pour un collaborateur. Capable de déplacer des montagnes pour une bonne idée et de perdre dans l'avion un dossier confidentiel. "Il se jette dans le vide parce qu'il sait qu'il a de la chance", explique l'un de ses anciens conseillers. "C'est un comédien extraordinaire qui, comme tous les comédiens, dépend uniquement du regard des autres, nuance un de ses rares amis de longue date, le producteur Jean-François Boyer. C'est vrai qu'il peut mentir, même à lui-même. Mais il veut à tout prix échapper à la médiocrité."

Politiquement, ce mélange détonant qui a fait son succès est aujourd'hui sa faille. Nicolas Sarkozy a d'abord flairé en lui l'animal politique, capable de prendre d'assaut, en quinze ans, la mairie de Lourdes, le groupe UDF à l'Assemblée, les ministères de la santé, de la culture, des affaires sociales, la mairie de Toulouse, le secrétariat général de l'UMP. Mais Philippe Douste-Blazy, sans avoir lu Cortès, a brûlé tous ses vaisseaux en se plaçant en rival de Sarkozy pour Matignon, en 2002... alors même que Jacques Chirac n'avait l'intention de les nommer ni l'un ni l'autre. Puis en choisissant Dominique de Villepin. Depuis, le président de l'UMP se défie de lui.
Mais il y a plus grave. "Douste" a peut-être façonné lui-même, à Toulouse, son ennemi mortel. Dominique Baudis, après avoir succédé à son père et tenu le Capitole pendant dix-sept ans, l'avait choisi comme dauphin à la mairie.

Aujourd'hui, il reproche toujours à son successeur de ne pas l'avoir informé qu'une infâme rumeur courait sur lui dans l'affaire Alègre. Il ne pardonnera pas. "Baudis est un sniper. Il attend désormais d'avoir Douste dans son viseur et il tirera", prédit un proche du président du CSA. C'est aussi parce qu'il sait cela que le ministre s'inquiète parfois. Jusqu'à ce que son naturel le pousse à nouveau, parce que, dit-il, "il vaut mieux avancer pendant qu'il est encore temps."

Raphaëlle Bacqué (avec les correspondants du "Monde")

mardi, avril 25, 2006

Deux articles (éducation, "super profits")

Deux articles que j'auais pu écrire si j'avais eu plus de talent :

Les ravages de l'ultrapopulisme

Education : le mal court

Volez, ça fait les pieds

Les maisons de Bricourt, relais gourmand Olivier Roellinger

Le cadre est très agréable (une mare aux canards face à la salle est très instructive sur les moeurs des palmipèdes !)

Nous avons avons pris le menu gastronomique intitulé Image du pays malouin.

Je trouve le titre ampoulé pour un menu mais je reconnais qu'il est pertinent : tout en poissons, fruits de mer et épices des pays lointains, c'est bien à l'image du pays malouin.

Voici le menu, mes commentaires entre [] :

Pièces de Saint Jacques, rêve de Cochin ["carpaccio" aux fruits de la passion et mélange d'épices]

Nage marine et potagère

Huîtres tièdes et jus d’herbes des falaises [rend très bien le goût marin, de tous les plats, c'est avec le homard mon préféré]

Homard au piment et cacao [une vraie merveille, l'erreur aurait évidemment été que le cacao écrasât le homard mais ce n'est pas le cas, c'est joué tout en douceur]

Saint Pierre retour des Indes [mélange d'épices ; curry maison]

Selle d’agneau poudre " grande caravane " [mélange d'épices]

Table de fromages et crème fermière

Strates de pommes confites, fraîcheur d’agrumes

Lait abricoté et glace café cardamome

Au menu lui-même, il faut bien entendu ajouter toutes les broutilles qui finissent par vous caler.

Nous avons beaucoup apprécié, c'est digne de la plus grande cuisine, originale, forte personnalité ; on sent bien le breton têtu, qui sait ce qu'il veut. Olivier Roellinger travaille subtilement les épices, sa marque "de fabrique".

D'ailleurs, une boutique à coté du restaurant et le site internet vendent les mélanges d'épices (je vous conseille le grog des iles).

Le service est impeccable : rigoureux et sympathique (une légère pique d'humour pour nous dire que nous n'avions pas besoin de prendre des notes, le menu étant fourni à la fin).

Tout de même un reproche, puisqu'il en faut un, seul Dieu étant parfait : un manque de travail des légumes, qui sont quasi-absents.

Par contre, les desserts étaient à la hauteur du reste du menu, je le précise parce qu'il y a là souvent une faiblesse des menus gastronomiques. A préciser aussi dans les points positifs annexes : une recherche agréable dans la vaisselle et les divers instruments de table.

Vient la douloureuse question du prix : le menu Image du pays malouin est à 165 €, avec apéritifs, vin et cafés, ça fait 460 € pour deux soit un demi-SMIC (1).

Seul ce menu est intéressant à mon avis pour une première visite : en effet, quand on a à faire à un chef si créatif, c'est dommage de ne pas essayer de gouter au maximum de choses. C'est le genre de restaurant qui peut être le seul dans l'année, mieux vaut retarder son repas que de ne pas en profiter pleinement.

A titre de comparaison, au Grand Véfour, qui a une cuisine comparable en excellence (pas le même style), mais qui bénéficie d'une implantation parisenne et d'une réputation historique, il faut compter 90 € de plus par personne soit 180 € à deux, ce qui relativise les prix des Maisons de Bricourt.

Qu'en conclure ? Une excellente table, parmi les meilleures de France (pas un mince compliment), à la forte personnalité, tout en harmonie. Je lui ai trouvé une grande parenté avec le spectacle équestre de Bartabas Voyage aux Indes Galantes : deux histoires de marins bretons partis pour des pays lointains. Car ce menu était un voyage et une histoire.

Il y a d'ailleurs peut-être une idée d'association à creuser : un repas à cheval ?

Trêve de plaisanterie, à voir, et à manger.

(Comme d'habitude, pour ces restaurants à la très haute cuisine, n'y emmener que des invités qui apprécient ; pour des clients habituels de Mac Do, c'est de l'argent jeté par les fenêtres. Il faut d'autant plus insister pour les maisons de Bricourt que son originalité ressort par comparaison.)

(1) : bien entendu, tous les prix que je vous donne sont très approximatifs car ils varient énormément en fonction du vin, disons que nous sommes raisonnables sur le vin sans pingrerie.


Lien :

Maisons de Bricourt

La tragédie du Président (FO Giesbert)

FF

Ce live tire sur l'ambulance, mais je dois avouer que certains portraits bien féroces font plaisir.
Ce livre, sorti avant la crise du CPE, peut en expliquer un des ressorts : Villepin, du temps qu'il était à l'Elysée, s'est employé à mettre en oeuvre systématiquement une technique bien connue des courtisans, monter en épingle les incidents, envenimer les anicroches, pour se rendre indispensable pour éteindre la crise qu'il a ainsi lui-même créé. Cette technique est très efficace, seul problème : il faut savoir s'arrêter à temps.

A noter que FOG met une partie de la crise du chiraquisme (dix ans gaspillés) sur le dos des Français, qui ont préfèré les joueurs de pipeau aux diseurs de vérités désagréables.

Raymon Barre a déclaré en 1978 que la France vivait au dessus de ses moyens, combien c'est plus vrai aujourd'hui : dans 15 ans, un quart de la population française aura plus de 60 ans, avec tous les problèmes de dépendance que cela suppose, les individus essaient bien d'épargner, de prévoir, mais la collectivité, elle, n'a su que jouer les cigales, pour financer des emplois de fonctionnaires qui ne servent pas à grand-chose (1).

Si Chirac porte la responsabilité d'avoir été pusillanime avec constance, il a aussi le tort d'avoir entretenu les Français dans leurs illusions, au point qu'ils sont aujourd'hui atteints d'acédie, trouble qui se caractérise par la répulsion pour l'action.

Un symptome presque amusant de cette acédie : la France est le pays des rapports au placard. Dans d'autres pays, on fait aussi des rapports sur ceci ou cela, mais ils finissent par déboucher sur des décisions. En France, dès qu'on a publié un rapport, on s'empresse d'en commander un autre sur le même sujet ou sur un sujet connexe, retardant d'autant le moment douloureux et risqué du passage à l'acte.

(1) : affirmation choquante ? excessive ? Les pays qui nous entourent ont entre 14 % et 17 % de la population active dans la fonction publique, nous en sommes à 25 %. Comme, jusqu'à preuve du contraire, vivre en Allemagne, en Espagne, en Grande-Bretagne ou en Suède n'est pas l'enfer, il faudra finir par se dire que nous avons des fonctionnaires qui sont bien mal employés.

Le pire est que ça ne veut pas dire qu'ils ne travaillent pas : on peut dépenser beaucoup d'énergie à faire des choses peu utiles, inutiles ou qui seraient mieux faites dans un autre cadre ou une autre organisation.

lundi, avril 24, 2006

Les "spotters", menace mortelle pour la sécurité de la France ? (2)

Dans le message Les "spotters", menace mortelle pour la sécurité de la France ? , je me courouçais du fait que regarder Roissy CdG coute désormais 350 €.

Voici ce que m'écrit en réponse un lecteur (que je remercie de s'intéresser à mes divagations) :


Il m'apparait que votre article sur le spoting à Roissy est parfaitement erroné.

Certes l'interdiction existe mais elle peut être aisément contourné par une simple demande adressée aux services de la sous-préfecture de Roissy (01 48 62 79 74 ou 65 89).
Une autorisation personnelle écrite est alors envoyée gratuitement à tout demandeur qui n'a qu'à la présenter en cas de contrôle des forces de l'ordre.

Sur ce même écrit, les spotters sont invités à signaler tout comportement suspect qu'ils apercevraient à la périphérie de l'aéroport durant leur spotting.

Contactez les services de l'Etat et vous verrez vous même.

Merci de rectifier les données erronées de votre blog.

Ce qui provoque de ma part les commentaires suivants :

> Mon blog n'est pas erroné, l'amende existe bien.

> De plus, si l'accréditation est si facile à obtenir, pourquoi avoir créé l'interdiction et l'accréditation qui permet de la contourner ? (Hypothèse : juste pour occuper la maréchaussée et nos petits amis de la DGAC ? Je plaisante.) Sur quels critères attribuer ou refuser l'accréditation ? (Proposition : suivant le signe zodiacal)

> Je viens de "surfer" sur des forums de spotters à Roissy, ils n'ont pas l'air au courant de cette possiblité d'accréditation. C'est dommage, ce sont les premiers concernés !

Enfin, tout cela n'enlève rien à mon objection fondamentale. Il y a bien atteinte à la liberté individuelle, puisqu'on passe d'une logique "Tout ce qui n'est pas interdit est autorisé" à "C'est interdit à tous sauf à ceux qui ont une accréditation".

Le fait que l'administration mette en place l'interdiction et les moyens d'y échapper en prouve juste l'absurdité. Que l'administration se ridiculise elle-même en vient à décourager de tenir un blog : ce n'est même plus marrant !

mercredi, avril 19, 2006

Vu d'ailleurs : les jeunes, les études, le travail

Deux articles du Figaro de ce jour :

Modèle social français, tu n'as pas changé

Quinze jours de préavis

Le deuxième article est fort enthousiasmant, malheureusement, cet enthousiasme est de l'autre coté de l'Atlantique.

J'entendais ce matin un éditorialiste se désoler en comparant l'apéttit des Chinois et des Indiens pour la connaissance et l'enseignement avec le peu de priorité accordée en Europe, dans les faits, dans les budgets et dans les décisions, à ces choses.

Le "classement de Shangaï", qui classe les universités, trouve son origine dans la volonté de l'université de Shangaï de détecter puis de copier les meilleures pratiques universitaires mondiales.

Pendant ce temps en France, des abrutis d'étudiants manifestaient contre la réforme LMD visant à donner une cohérence européenne aux diplomes universitaires, contre l'autonomie et conbtre la décentralisation, bref, contre tout ce qui marche ailleurs.

Comment ne pas en conclure que nous sommes décadents ? Et que, comme le poisson, nous pourrissons par la tête ?

Je ne désespère qu'il y ait en France des forces cachées qui n'attendent que d'innover et de progresser, mais ce n'est pas dans nos prétendues élites, recrutées par cooptation, qu'il faut les chercher.

Imasu : «Toyal a été victime d'un procédé déloyal»

Critiqué dans le dossier du déménagement du site d'Accous, Masao Imasu, le patron du groupe japonais Toyal, répond aux autorités françaises et dénonce l'attitude du député Jean Lassalle.

LE FIGARO. – Quel est votre sentiment après le dénouement de l'«affaire Toyal» ?

Masao IMASU. – Dans cette affaire, de notre point de vue, il y a tant de malentendus que nous cherchions une occasion de nous expliquer. Cette occasion, c'est cette interview.
Cette affaire vient d'un problème de localisation. Pourquoi avons-nous notre usine européenne à Accous ? Parce qu'Alcan y a construit une centrale hydroélectrique pour profiter de l'eau de la montagne voisine, puis une usine d'aluminium en 1938, que nous avons reprise à partir de 1982. Après Accous, nous avons acheté du terrain dans le village voisin de Lescun pour nous agrandir. Cette fois, nous voulions encore nous développer, mais notre nouveau projet mettait en jeu des procédés chimiques complexes, dangereux et potentiellement polluants. Il reste deux hectares de terrain cultivable que Jean Lassalle voulait que nous utilisions, mais nous avons refusé, car ce terrain ne dispose d'aucune structure de sécurité, et qu'il est près d'un parc naturel.

Nous voulions limiter au minimum les risques environnementaux. Nous avons d'abord pensé implanter cette nouvelle usine en Allemagne, car c'est notre premier marché. Mais Total nous a proposé de reprendre un de ses sites de production, à Lacq, à 70 kilomètres d'Accous. Ce site bénéficie d'une excellente infrastructure adaptée à nos besoins, qui limitait les risques de pollution. Nous avons naturellement choisi ce site. C'est là que M. Lassalle, sur un malentendu, a pensé que tout Accous serait déplacé à Lacq. Objectivement, un tel transfert serait stupide et coûteux.

Qu'avez-vous dit à Jean Lassalle pour le faire fléchir ?

Nous lui avons clairement dit que nous n'avions nullement l'intention de déménager d'Accous, et que nous étions même prêts à y développer des infrastructures supplémentaires, hormis celles qui concernent notre nouveau projet «dangereux». Nous avons aussi écrit une lettre aux employés du site d'Accous pour expliquer notre position. Nous avons proposé d'acheter les deux hectares de terrain voisins, comme preuve de notre bonne foi et de notre engagement à Accous.

Malgré tous ces gestes, Jean Lassalle ne nous a pas crus et a poursuivi sa grève de la faim.
Avez-vous tenté de contacter Jean Lassalle quand vous étiez en France ?

François Bayrou m'a demandé de le rencontrer alors qu'il faisait une grève de la faim : c'était déloyal ! C'est comme s'il m'avait mis un couteau sous la gorge ! J'ai refusé de le voir tant qu'il ne s'alimentait pas. Mais au bout d'un mois, tout le monde s'inquiétait de sa santé. Alors j'ai reçu une lettre de conciliation de Nicolas Sarkozy, à laquelle j'ai répondu en expliquant notre position et en m'inquiétant de l'impact d'une telle affaire pour Toyal, qui était forcé de dévoiler sa stratégie à cause de cette affaire, et pour l'image de la France. Vendredi dernier, au matin, l'ambassadeur de France est venu me voir à Osaka, à la demande de l'Elysée, pour connaître ma position. Quelques heures après, un représentant de Toyal a signé un protocole dans le bureau de Nicolas Sarkozy, à Paris, qui a satisfait les exigences de Jean Lassalle.

Votre unité d'Accous est-elle rentable ?

Oui. Notre bénéfice progresse chaque année. Mais pendant les treize premières années, nous avons perdu de l'argent à Accous. Nous sommes néanmoins restés en pensant au potentiel du marché européen. Nous investissons environ 2 millions d'euros par an là-bas. Au moins Jean Lassalle peut-il faire l'effort de comprendre l'importance de notre contribution à cette vallée !
Combien d'emplois étaient en jeu à Lacq ? Que pense Total de cette annulation ?
Au début, cinq ou six emplois devaient être créés, mais ils auraient été suivis par d'autres créations. Avec cette annulation, Total doit trouver un nouvel acquéreur pour son site. Ça les ennuie sans doute, mais d'un autre côté, le gouvernement aurait peut-être forcé Total à ne jamais nous vendre son terrain...

Combien ce changement d'emplacement va-t-il coûter ?

Nous n'en savons rien encore ! Le gouvernement veut nous vendre le terrain proche d'Accous pour 1 euro. Mais nous devons étudier la faisabilité de notre projet là-bas, ses conséquences sur l'environnement et surtout sur le parc naturel tout proche. Il n'y a aucune structure d'urgence à Accous. Là-bas, il faut presque une heure pour que des pompiers ou des médecins se rendent sur les lieux en cas d'explosion. A Lacq, tout était prévu !

Avez-vous le sentiment de vous être retrouvé prisonnier de luttes politiciennes françaises ?

Peut-être M. Lassalle a-t-il utilisé cette affaire à des fins personnelles. Car Lacq est très proche d'Accous. Nous ne sommes pas allés en Allemagne, mais à 70 kilomètres de là !

Vous avez vécu de 1985 à 1990 en France. Avez-vous aimé votre séjour ?

Oui. J'aime la France. Quand j'ai dû rentrer au Japon, j'ai résisté à ma direction. Je voulais encore rester. Mais moi, je ne me suis pas mis en grève de la faim !

Le prix de la gratuité

Vous trouverez ci-dessous un extrait d'article des Echos sur la (pseudo) gratuité, c'est-à-dire la générosité étatique payée par le contribuable et par la dette.

La gratuité forcée est un mécanisme extrêmement pervers : F. Hayek considérait le marché comme un mécanisme de découverte. Par l'intermédiaire du marché, par ajustements successifs de l'offre et de la demande, grâce aux mécanismes de prix, les acheteurs découvrent de nouvelles manières de satisfaire de nouveaux ou d'anciens besoins, les vendeurs creusent ce gisement.

En supprimant le prix, qui est un signal, on se prive d'un régulateur très puissant pour trier ce qui est intéressant et ce qui ne l'est pas. Autrement dit, un service gratuit est toujours, à la longue, sous-optimisé.

Alfred Sauvy et Paul Fabra considèrent que la gratuité est un leurre. Je ne peux que me ranger à leur avis.

Mais, je divague, raisonnons "à la française" : puisqu'on n'y connaît rien en économie, utilisons les sentiments, les pétitions de principe et les jugements de valeur : la gratuité, c'est généreux ; la générosité, c'est bien ; donc la gratuité, c'est bien.

J'écrirais un autre message pour discuter si faire payer le contribuable, qui n'en peut mais, pour cette générosité, c'est aussi bien !





Le prix de la gratuité

La gratuité joue un rôle social majeur : quand on ne peut pas donner d'espèces sonnantes et trébuchantes, on accorde la gratuité. Dans nombre de cas, c'est une planche de salut. Dans beaucoup d'autres, c'est un simple effet d'aubaine. Ce faisant, le « prix de la gratuité » étouffe tout autour de lui. Et là où elle passe, l'herbe des activités marchandes ne repousse pas, sauf si les prestations gratuites sont par trop défaillantes. Or il peut exister, surtout dans le monde actuel, des façons beaucoup plus efficaces et intelligentes de produire les mêmes services.

Il s'agit, en fait, d'un élément très fort de l'« offre politique » sous la forme du « toujours plus de gratuité ». Le drame, c'est qu'elle apparaît vraiment comme un don du ciel, la gratuité. C'est l'effet d'aubaine garanti. En même temps, c'est la sclérose assurée du corps social et de l'économie comme dans les pays de l'Est de l'Europe qui étaient parvenus à un état (plus ou moins) parfait d'inefficacité pathétique jusqu'à la faillite finale. Dans ce contexte, tout ce qui est différé pour nous-mêmes (ou pour nos petits-enfants) dans l'endettement du pays donne l'impression que si l'on est malin on pourra y échapper.

Ce faisant, au fil des dernières décennies, nous avons ouvert très largement l'accès aux services publics gratuits en donnant un formidable droit de tirage à un nombre croissant de bénéficiaires (la santé avec la CMU, l'accès à la propriété pour tous, le bac à 80 % d'une classe d'âge, etc.). Or, ne pouvant plus compter sur la planche à billets, nous faisons de la cavalerie. Et, de plus en plus, nous « débloquons des crédits à crédit » sans nous rendre compte à quel point nous sommes « socialisés à crédit ». La prise de conscience, récente, des bornes à l'endettement public oblige à s'interroger sur les limites de la « promesse de service public » (ainsi les hésitations récentes dans la bouche des ministres sur les dettes et sur les engagements de l'Etat : 1.000 milliards d'euros, 2.000, 2.500 !).

La gratuité, c'est la revanche du collectif sur le marché. C'est aussi la fracture entre deux mondes : celui des échanges monétaires et celui des prestations sans échange d'argent. Il n'y a plus de segmentation du marché par le prix dans l'utopie d'un monde sans argent.

Pourtant, il serait bien préférable de solvabiliser le client et de lui laisser le libre choix entre plusieurs prestataires et types de prestations, comme l'ont fait les parlementaires britanniques en janvier 2005 en décidant qu'à partir de 2007 les étudiants anglais payeraient au moins 4.500 euros par an pour suivre leurs études universitaires (avec des bourses et des prêts), considérant que l'on n'allait pas demander à leurs futurs petits-enfants de payer l'éducation de leurs grands-parents.

Tôt ou tard, les impératifs de compétitivité qui s'appliquent à l'économie marchande avec des gains de productivité de 4 % à 8 % par an finiront par s'imposer à l'économie non marchande, qui, sinon, s'effondrera sous son propre poids dans une économie exsangue.

JEAN RUFFAT est président de Sudria SAS.

mardi, avril 18, 2006

Vive la démocratie directe !

Article de Jean-François Revel paru dans Le Point le 26 mars 1994.

Son contexte est les nombreuses manifestations ayant suivi l’annonce du Premier ministre de l’époque, Edouard Balladur, de mettre en place le Contrat d’Insertion Professionnelle, rebaptisé “smic-jeune”, et qui sera retiré par la suite.

Ca ne vous rappelle pas des évènements récents.

Vive la démocratie directe!

Au lendemain des élections de mars pour les conseils départementaux, tous les partis, on l’a vu et redit, ont crié victoire. Et pourtant tous ont perdu.

Oh non pas, certes, en raison de telle ou telle interprétation tortueuse de leurs résultats. Mais parce que le pouvoir politique a cessé de résider dans les assemblées.

Selon le déroulement théorique des opérations, le Parlement vote une loi, ou le gouvernement, issu de la majorité parlementaire, expression de la volonté générale, prend une décision.

L’opposition a pu discuter le projet, déposer maints amendements, contester la mesure. Mais, la majorité étant la majorité, le texte est adopté.

C’est là, dans les démocraties représentatives, que le processus législatif se termine. C’est là, dans le nôtre, qu’il commence.

Dès le jour de la promulgation ou de l’application on assiste à la rébellion du groupe social, de la catégorie professionnelle, du service public, de la classe d’âge, de la région, de la corporation, du syndicat dont les intérêts ou les privilèges sont ou paraissent visés par le législateur ou le gouvernement.

Si les manifestations et les grèves ont assez d’ampleur et surtout de violence pour paralyser et perturber, au-delà du supportable, la vie nationale, cela vaut abrogation de la loi, retrait de la mesure.

Peu importe que la majorité, comme dans le cas présent, dispose à l’Assemblée nationale de 84% des sièges contre 16% à l’opposition, et qu’elle soit donc une des majorités les mieux élues de toute l’histoire de France, dans une consultation datant d’un an à peine, et confirmée par des élections cantonales.

Peu importe que chaque catégorie de manifestants ne représente qu’une minorité dans la nation, si encombrante soit-elle dans la rue.

Peu importe que le droit de faire grève, si sacré soit-il, ne puisse jamais être, d’après la constitution, un substitut du droit de légiférer. Il l’est devenu.

Entérinons donc un état de fait d’ores et déjà plus fort que le Constitution officielle. J’avance la modeste proposition suivante.

Le caractère représentatif du pouvoir ayant perdu toute importance, on désignerait le président de la République par tirage au sort. Il gouvernerait de l’Élysée à l’aide d’un cabinet de favoris, ce qui ne changerait guère les habitudes.

Au lieu de faire voter des lois par l’Assemblée et le Sénat, horrible perte de temps, il les lancerait dans la nature et attendrait les réactions. En cas de calme persistant, le texte serait adopté.

Si des troubles surgissaient, il serait aussitôt retiré: nous ne ferions que suivre ainsi la procédure déjà en vigueur, mais avec un énorme gain de temps.

Et à un moindre coût, puisque nous pourrions supprimer les 1 130 députés, sénateurs, conseillers économiques et sociaux, plus les milliers régionaux, régionaux, municipaux qui ne font déjà que de la figuration.

Et le vote des recettes et des dépenses, vieille prérogative des Assemblées? Il serait dévolu aux casseurs, auxquels une mise en forme juridique reconnaîtrait les attributions que la coutume leur a depuis longtemps conférées.

On dresserait un tarif des crédits débloqués en leur faveur. Vandalisme à Rungis deux fois par an? Deux milliards. Obstruction illégale des pistes des aéroports? Dix milliards. Incendie volontaire d’un monument historique? Cinq milliards.

Entrave à la circulation sur les routes au moyen de tonnes de patates, choux-fleurs, artichauts? Dix millions la tonne.

Mise à sac d’une école? Cent mille francs. Passage à tabac d’un enseignant? Mille francs. D’une enseignante? Mille cinq cent. Avec viol? Deux mille.

Vivle la démocratie directe!

Les carnets du général Doumenc, commentés par F. Depla

FF

Je m'avoue déçu : j'ai patienté trois ans pour me procurer ce livre et il ne me donne pas entière satisfaction. La publication des carnets du général Doumenc, organisateur de la Voie Sacrée en 1916, major général de l'armée française en 1940, est à l'orgine de "l'illumination" (1) de François Delpla.

Mais ses travaux postérieurs sont plus aboutis. Ce livre intéressera les chercheurs, dont je ne suis pas. Vous qui êtes comme moi des amateurs, lisez plutôt La face cachée de 1940 ou L'appel du 18 juin 1940.

Néanmoins, de ces carnets, je retiens :

> le général Doumenc dont l'intelligence, le caractère et le patriotisme ne font pas de doutes a été pendant toute la ériode cruciale en retard sur les évènements (de quelques heures quand d'autres l'étaient de plusieurs années) et n'a pas compris ou pas osé la rupture. Par comparaison, cela met bien en valeur ce que De Gaulle avait d'exceptionnel.

> une notation très juste de F. Delpla : De Gaulle avait certes l'avantage du caractère et de la prescience, mais il avait aussi l'avantage d'une meilleure information. Le pari gaulliste consistait à se fier entièrement à la volonté et, plus encore, à la capacité de résistance de Winston Churchill, car si la Grande-Bretagne avait fini par capituler au cours de l'été 40, ce qui fut peut-être advenu sans Churchill, De Gaulle n'aurait été qu'un traître peu avisé. Or, de tous les gouvernants français, De Gaulle était celui qui, en ces jours cruciaux de mai-juin 1940, avait le plus eu l'occasion de prendre la mesure de la détermination churchilienne.

(1) "l'illumination" de François Delpla résumée par lui-même :

Lignes directrices et principaux résultats à ce jour de mon travail :

> le nazisme, une entreprise inhumaine et folle, a failli connaître à la fin de mai 1940 un succès durable, par une paix anglo-franco-allemande qui aurait laissé au Reich les mains libres pour la colonisation de l’Ukraine et la satellisation de toute l’Europe de l’est.

> pour arriver à ce quasi-triomphe, Hitler a principalement joué de la sous-estimation de lui-même par les dirigeants politiques des autres pays.

> comme certains d’entre eux, et non des moindres, étaient encore au pouvoir à la fin du conflit ou à l’approche immédiate de celle-ci (notamment Staline et Roosevelt, ainsi que Pie XII), peu de gens et de régimes avaient intérêt à une histoire sincère et scientifique des années 1930 et du déclenchement de la guerre. On préféra s’accuser mutuellement de lâcheté et de noirs desseins plutôt que de reconnaître qu’un maître illusionniste avait roulé presque tout le monde.

> jouait dans le même sens l’arrivée de Churchill à la barre de l’Angleterre, par hasard, le jour même de l’offensive que Hitler espérait finale (10 mai 1940). Niant alors, pour rester au pouvoir et en guerre, l’existence d’un fort courant favorable à la paix, il n’allait pas lâcher en 1945, ou un peu plus tard dans ses mémoires, des informations propres à déstabiliser le parti conservateur et à brouiller l’image de la nation qui avait montré le chemin de la résistance.

> l’empreinte énorme du régime hitlérien sur le monde actuel rend urgente une meilleure compréhension de ces questions.

Vu d'ailleurs : l'absence de chomage des jeunes Danois

Si les Français étaient capables d'une réflexion collective sur l'économie, ce que je ne crois pas, ce texte les intéresseraient.

Malheureusement, les politiciens ne faisant pas leur travail de médiation, le débat n'est jamais posé en termes clairs et la réflexion ne peut se développer.


La manière forte du Danemark

Le Monde Economie

Le contraste est saisissant. Alors qu’au sud, en France, et au nord, en Suède, la situation des jeunes sur le marché de l’emploi est au coeur des débats, le Danemark, au milieu, est épargné. « Le chômage des jeunes a quasiment disparu du jour au lendemain après l’entrée en vigueur de la réforme de 1996 », note Jon Kvist, chercheur au SFI, Institut danois de recherches sociales à Copenhague. L’image est à peine exagérée. Alors que le royaume était frappé par un chômage écrasant à l’échelle scandinave au début des années 1990 (plus de 12 %), le gouvernement social-démocrate de l’époque a mis en place une série de mesures à poigne dont celle concernant les jeunes fut particulièrement drastique. Les moins de 25 ans ayant un faible niveau d’éducation et étant au chômage depuis plus de six mois au cours des neuf derniers mois, se sont retrouvés dans l’obligation d’accepter les offres d’emploi ou de formation de dix-huit mois, avec une réduction de 50 % de l’assurance-chômage. En cas de refus, c’est tout le montant de l’assurance-chômage qui disparaissait. Dix ans plus tard, les statistiques sont élogieuses. Selon Eurostat, 8,5 % des jeunes Danois de 16 à 25 ans étaient au chômage en février, tandis qu’au niveau national, le taux de chômage s’élevait à 4,4 %. Seuls les Pays-Bas font mieux. Les spécialistes de DST, l’Office danois des statistiques, ont une grille de lecture encore plus spectaculaire puisque dans le système danois, on ne peut pas être inscrit au chômage avant 18 ans. Du coup, selon leur méthode, seuls 3,1 % des Danois de moins de 25 ans sont au chômage, contre 5 % au niveau national. Quelle que soit la méthode, il n’échappe à personne que le côté bâton a fortement stimulé le dynamisme des jeunes. « Ils y sont habitués aujourd’hui. Mais il faut admettre que cette réforme a été adoptée au moment où le Danemark est rentré dans un cycle économique favorable », note Lisbeth Pedersen, responsable de l’Institut de recherches sociales. « Pour être honnête, nous n’avons pas encore étudié les effets à long terme de ces mesures, explique Michael Svarer, professeur d’économie à l’université d’Arhus. Dans quelles proportions, la menace a-t-elle pesé ? Quel rôle a joué la bonne situation économique ? Ce qui est sûr, c’est que le gouvernement trouve l’idée bonne puisqu’il veut maintenant l’étendre aux 25-29 ans ». Les jeunes Danois ne semblent donc pas souffrir d’un syndrome à la française. Juste après leur sortie du lycée, beaucoup d’entre eux passent plusieurs années à voyager et à faire des petits boulots avant d’entamer leurs études. « Cela signifie aussi qu’ils sont habitués à prendre tout type de travail », souligne Mme Pedersen. La moyenne de cet intermède est de quatre ans, que le gouvernement entend bien réduire afin que les jeunes se lancent dans la vie active au minimum un an plus tôt. Si la flexibilité est le maître mot, le salaire minimum, garanti non par la loi mais par les accords collectifs, est d’un niveau plutôt élevé, ce dont bénéficient également les jeunes. Traditionnellement, les jeunes Danois quittent le domicile parentalvers l’âge de 18 ou 20 ans. Leur accès à un prêt bancaire n’est pas une difficulté car ils ne sont pas considérés comme un groupe à risques par les établissements financiers : peu finalement se retrouvent au chômage, et leur salaire d’entrée dans la vie active est relativement élevé. Ce qui explique l’explosion du marché de l’immobilier depuis sept ans, qui frappe d’abord les jeunes. « Depuis cinq ans, il est fréquent que les parents doivent se porter garants en cas d’achat, ce qui est très nouveau pour le Danemark », constate Jon Kvist.

Olivier Truc

Sociologie de la misère, misére de la sociologie

L'opinion en lien ci-dessous extraite du Figaro n'est pas très légère, mais il faut avoir entendu la directrice de l'EHESS expliquer benoitement qu'elle a été surprise qu'une AG autorisée sans précautions dans son établissement dégénère en occupation, pour comprendre à quel point la bêtise, la naïveté, l'inconscience et l'irresponsabilité peuvent toucher des gens très diplomés.

J'ai toujours trouvé un ridicule certain à la sociologie d'inspiration bourdivine : elle prétend s'intéresser à des sujets très concrets et très humains et pourtant elle utilise un brouillard de mots qui me rend sa pensée complètement inaccessible. C'est suspect :

> soit je suis complètement idiot, c'est possible (hypothèse néanmoins rejetée car elle stopperait net le débat, ce qui serait dommage)

> soit ce que les bourdivins pensent ne souffre pas la lumière

> soit les bourdivins ne pensent pas, ils déblatèrent

Pour en revenir au ridicule bourdivin tel que mis en œuvre à l'EHESS, le contribuable ne paierait pas les dégats (1), j'avoue que je me laisserais aller à une franche hilarité : voilà donc des gens qui ont cautionné tous les "mouvements sociaux" de ces dernières années, c'est-à-dire toutes les violences de minorités visant à imposer leurs volontés à la majorité et contre les droits élémentaires, et qui sont tout chagrins quand ils découvrent que la violence qu'ils ont, au mieux, excusée, au pire, encouragée, peut arriver jusqu'à leurs beaux quartiers (car tout attentif aux pauvres qu'on est, on travaille dans une école du 6ème, pas dans école à Sarcelles).

Le ridicule tuerait, il y aurait quelques places libres à l'EHESS.

Tout juste puis-je espérer que cet "esprit EHESS" bobo que je décris ne représente qu'une minorité (tapageuse) des chercheurs de l'EHESS et qu'il est aussi minoritaire dans la sociologie française. Je n'en suis pas sûr.

Sociologie de la misère, misére de la sociologie

(1) : ce qui ne doit pas tellement toucher nos éminents sociologues : ils sont habitués à vivre sur le dos du contribuable, qui l'a bien cherché, si il paye des impots c'est qu'il a de l'argent, alors un peu plus, un peu moins ...

Alerte ! Dette publique !

Je vous reproduis ci-dessous l'éditorial des Echos pour mémoire. Cela fait longtemps que je redoute que la moindre hausse des taux d'intérêt mette à nu l'impuissance de l'Etat français, paralysé par sa dette.

C'est d'autant plus dramatique que les dépenses en question ont été des dépenses de fonctionnement et non d'investissement : d'un coté, il y a trop de fonctionnaires, peu productifs, mal organisés, pour des missions qui pourraient être mieux faites par d'autres, d'un autre coté, on s'est épuisé en "traitements sociaux" (du chomage, de la pauvreté, du logement etc.), autrement dit, on paye les gens pour qu'ils ferment leur clapet plutôt que de prendre les problèmes à bras le corps.

Bref, on a beaucoup dépensé pour acheter la "paix sociale" : le confort de quelques-uns (tout de même plusieurs millions) fort bruyants et l'atténuation du malheur de quelques autres.

Je partage entièrement l'analyse de Nicolas Baverez et de Jacques Marseille : aujourd'hui, l'Etat est non plus l'assurance de dernier recours mais le principal risque qui pèse sur l'économie française. D'ailleurs, quand on regarde au-delà des fanfaronnades et anathèmes étatistes, on voit bien que les Français en ont conscience, sinon pourquoi épargneraient-ils autant ?

Va-t-on en parler avant mai 2007 ?

Le piège de l'endettement

Françoise Fressoz pour Les Echos

Après l'échec du CPE, Dominique de Villepin va s'y prendre à deux fois avant de réformer. Il y a pourtant un chantier qui ne souffre aucune attente : le mur de la dette. Oser s'y attaquer constituerait une oeuvre de salubrité publique dont la collectivité tout entière et les jeunes en particulier ne pourraient que lui être gré. Car, malgré toutes les belles promesses de ces derniers mois, le pays continue de faire exactement le contraire de ce qu'il devrait faire : il s'épuise à solder les facilités qu'il s'est accordées au lieu de dégager les marges de manoeuvre qui lui permettraient de préparer l'avenir : sous l'effet de la hausse des taux d'intérêt, l'Etat va devoir débourser cette année, au moins un demi-milliard d'euros supplémentaires pour honorer les intérêts de sa dette. Un demi-milliard qui va rendre la réduction du déficit budgétaire plus difficile que prévu. Un demi-milliard qui s'ajoute à un poste de dépenses devenu, au fil des ans, le deuxième de l'Etat, derrière celui de l'enseignement scolaire. C'est suicidaire et pourtant la fuite en avant continue : la dette des administrations publiques atteignait à la fin de l'année dernière 1.138 milliards d'euros, soit 66,8 % du PIB. Un record absolu, alors que Bercy promettait un début de maîtrise.

Hormis le courage, on ne voit pas très bien ce qui manquerait au gouvernement pour agir. L'expertise, dans ce domaine, a été largement faite et elle n'est guère contestée : « En vingt-cinq ans, la dette financière des administrations publiques est passée d'un cinquième aux deux tiers de notre production nationale annuelle. La poursuite des tendances actuelles conduirait à des taux d'endettement public astronomiques : 130 % en 2020... Près de 400 % en 2050, qui feraient perdre aux administrations publiques la maîtrise de leur situation financière », constatait en décembre dernier le rapport Pébereau. La prise de conscience politique est plus profonde qu'on ne le pense : à droite et à gauche, il ne se trouve plus guère de responsable politique pour trouver raisonnable que sur chaque Français pèse une charge de 17.000 euros, parce que l'Etat et les administrations publiques n'ont pas réussi à maîtriser la dépense. Le chemin du redressement existe : il a été tracé en janvier dernier par Dominique de Villepin en personne, qui n'a pas hésité à présenter un plan de rigueur pour... l'après-2007 : fin des baisses d'impôts, réduction des dépenses de l'Etat, contrôle des dépenses des collectivités locales. Désormais trop bas dans les sondages pour espérer se projeter dans l'après-présidentielle, le Premier ministre s'honorerait en agissant tout de suite. Les derniers indices malheureusement ne vont pas dans ce sens. Pour solder la crise du CPE et pour calmer les restaurateurs qui n'ont pas obtenu de Bruxelles la baisse de leur taux de TVA, de nouvelles dépenses budgétaires ont été engagées ces derniers jours, qui s'ajoutent à la facture des intérêts de la dette. De nouvelles dépenses plutôt que des économies. Les vieilles habitudes ont la vie dure. Surtout en période préélectorale.