jeudi, mars 30, 2006

Y a-t-il une bonne méthode pour réformer la France ?

Comme d'hab, mes commaentaires entre [], mes surlignements en rouge.

Y a-t-il une bonne méthode pour réformer la France ?

L'analyse de Guillaume Tabard * (Rédacteur en chef adjoint au service politique du Figaro)

30 mars 2006, (Rubrique Opinions)

Au pays de Descartes, le «discours de la méthode» reste la pierre philosophale recherchée par tous les gouvernements. Tant il vrai qu'un premier ministre est jugé plus souvent sur son style que sur sa politique, davantage sur sa conduite de l'action que sur ses résultats. Dominique de Villepin en fait aujourd'hui l'expérience avec la contestation du CPE.

Une loi débouche-t-elle sur une contestation d'envergure ? On invoque des erreurs de méthode ou de communication plutôt que d'admettre que le contenu même d'une mesure peut être en cause.

Qu'est-il reproché au chef du gouvernement ? D'avoir commis une triple erreur : sociale, économique et politique. Sociale en n'associant pas les partenaires sociaux à la définition de son projet de CPE, en contradiction avec la loi du 4 mai 2004 sur le dialogue social. Économique en refusant l'option d'une extension du CNE à toutes les entreprises. Politique enfin en donnant le sentiment de court-circuiter à la fois ses ministres, réservés pour plusieurs d'entre eux, et sa majorité, par l'usage du 49-3.

Mais la méthode de Dominique de Villepin eut-elle été autre, l'accueil du CPE aurait-il été différent ? On peut en douter. Si les organisations syndicales ne veulent pas du CPE, ce n'est pas d'abord parce qu'elles n'ont pas été consultées au préalable, mais surtout parce qu'elles sont en majorité hostiles à ce que l'on défriche le maquis du droit du travail français.

L'histoire économique, sociale, politique et «sociétale» de la France de ces trente dernières années le prouve : il n'est pas de réforme en profondeur qui ne bouscule des situations acquises et donc qui ne doivent subir l'épreuve de la contestation. Croire qu'il existe une méthode rendant la réforme acceptable est une vue de l'esprit. [J'en suis entièrement d'accord : on ne consulte pas, on est accusé d'autisme ; on consulte, on est accusé d'autisme parce qu'on ne cède pas aux voeux des syndicats.]

Main de fer ou gant de velours ? En 1995, Alain Juppé avait choisi la «méthode globale» pour sortir la sécurité sociale du gouffre des déficits, en prévoyant une mise en cause des régimes spéciaux de retraite des cheminots et un alignement des fonctionnaires sur la durée de cotisation des salariés du privé. Avec le succès que l'on sait. Mais de quoi Juppé a-t-il été victime ? De sa «rigidité», comme on le lui reproche aujourd'hui ? Non, tout simplement d'avoir voulu s'en prendre au corporatisme disposant de l'arme de pression la plus redoutable : le blocage des transports publics. [c'est la fameuse "heure thatcherienne" que j'appelle de mes voeux qui a été ratée]

Sept ans plus tard, Jean-Pierre Raffarin s'est attaqué à de lourds chantiers (les retraites, l'assurance-maladie) en espérant déminer le climat social par ce qu'il a appelé un «diagnostic partagé» de la situation. Cela lui a permis de gagner le soutien de la CFDT sur les retraites. Ce n'est pas rien. Mais il n'empêche : lorsqu'il a fallu dire clairement que le financement des retraites passerait par un allongement de la durée de cotisation pour tous et par le retour à l'équité entre la fonction publique et le privé, deux millions de personnes sont descendues dans la rue. Si la réforme est passée, c'est parce que le tandem Raffarin-Fillon a tenu face à la rue, pas parce qu'il a bien communiqué.

Inversement, le même Raffarin a expérimenté à son détriment qu'un espace trop large accordé au dialogue permettait aux égoïsmes de reprendre l'avantage sur l'attente de solidarité exprimée lors de la canicule, jusqu'à tuer une idée novatrice et courageuse : la transformation d'un jour férié en jour travaillé.

L'échec systématique de toute réforme de l'enseignement supérieur, voulue par la droite comme par la gauche, confirme que l'impossibilité à réformer tient parfois plus à la résistance d'un corps social [à mon avis, à part la SNCF, et encore, il n'y a pas corps social plus conservateur en france que le corps enseignant] qu'aux maladresses d'un gouvernement.

S'il n'y a donc pas de bonne méthode pour réformer en paix, il y a en revanche trois tentations dont un premier ministre doit se garder :

– la tentation du camouflage, d'abord. Si un gouvernement est prêt à moderniser la France en adaptant les thérapies libérales qui ont réussi partout ailleurs en Europe, il doit le dire clairement. Et marteler une pédagogie préalable en ce sens. Le paradoxe de Dominique de Villepin est de s'être attelé, courageusement, à cette tâche, tout en se posant en défenseur du «modèle social français» et en brandissant sa fidélité à un président qui avait proclamé un an plus tôt un «tournant social».

– La tentation de la globalisation, ensuite. C'est une tradition française : ça commence par une mesure simple et concrète pour l'emploi ; ça finit par un grand débat de fond sur la place des jeunes dans la société qui ne sert en général à rien d'autre qu'à habiller un recul. Qu'on se souvienne du risible autant qu'inutile questionnaire sur la jeunesse lancé en 1994 au lendemain du retrait du CIP. L'efficacité de l'action se conjugue mieux avec une batterie de mesures concrètes qu'avec la recherche d'un accord de fond avec des acteurs ayant des conceptions de l'économie ou du marché du travail trop éloignées. La seule question à se poser aujourd'hui devrait être celle de savoir si le CPE permet ou non à des jeunes de moins de vingt-six ans d'entrer sur le marché du travail ? Ouvrir le dialogue avec des syndicats organisant le blocage des facultés est peut-être un passage obligé pour sortir de la crise actuelle. Faire de l'Unef et de la CGT des experts qualifiés pour offrir des perspectives d'avenir aux jeunes serait un choix périlleux.

– La tentation de la reconnaissance, enfin. Parce qu'une réforme difficile est par nature impopulaire, un ministre ou un premier ministre est tenté de ne mettre en avant que ses aspects les plus «gratifiants», comme le disait Jean-Pierre Raffarin. Démarche compréhensible mais recélant deux aspects pervers : éluder ses aspérités, d'une part, ne prépare pas l'opinion à accepter des évolutions nécessaires ou inéluctables ; promettre des garanties auxquelles l'opinion ne croit pas plus contribue à ruiner le crédit de la parole politique.

Assumer et porter jusqu'au bout des réformes bousculant les conservatismes suppose soit une capacité de résistance inoxydable : c'est la volonté, à ce jour, de Dominique de Villepin ; soit une légitimité populaire renouvelée : c'est le pari de Nicolas Sarkozy pour 2007.

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